Le droit de propriété forestière repose sur deux principes : le contrôle d’un territoire et sa jouissance ; en langage forestier, sa liberté de gestion.
De 1963 à 2020 : les évolutions de paradigme
-
Loi Pisani. « Les forestiers se gèrent, l’État contrôle »
La loi Pisani de 1963 organise la gestion de la forêt privée. L’outil en est la création des centres régionaux de la propriété forestière (CRPF), établissements publics à caractère administratif, gérés par des forestiers élus. Les CRPF sont chargés de l’élaboration des plans simples de gestion (PSG) et autres documents de gestion durable (DGD+), approuvés par l’autorité administrative, principe fondamental qui garantit la conformité de ces documents de gestion des forêts avec le Code forestier et les divers règlements. Le contrôle de l’État sanctuarise ainsi la liberté de gestion du propriétaire forestier privé dans les cadres légaux pour la durée des PSG. C’est la formule : « Les forestiers se gèrent, l’État contrôle ».
-
2001. Développement durable et tri-fonctionnalité
La notion de développement durable appliquée à la forêt repose sur la tri-fonctionnalité : l’économique, le sociétal et l’environnemental.
La loi d’orientation forestière du 9 juillet 2001 adapte le Code forestier à la tri-fonctionnalité. Or, la fonction sociétale porte alors en elle un bouleversement sans précédent de la notion de propriété forestière. Elle amorce le processus d’appropriation de la forêt par la société. Vingt ans plus tard, le rapport Cattelot en est un aboutissement.
-
2020. Le rapport Cattelot et un nouvel « impératif »
Le rapport de la députée Anne-Laure Cattelot, rendu public en 2020, contient 19 recommandations, qui me paraissent socialement et économiquement en grande partie inspirées par les associations environnementales.
Il suggère un changement de paradigme en voulant « réconcilier la société et tous les usagers dans une vision partagée de la forêt » et en jugeant « impératif de partager entre les forestiers et la société un contrat social clair ».
Avec ce rapport, le principe de cogestion de la forêt privée est posé, et la loi Pisani, qui instituait les PSG instruits par les CRPF administrés par les représentants forestiers sous le contrôle de l’État, est sursitaire.
Vers un changement de nature de la propriété forestière ?
Dans sa recommandation n°16, le rapport Cattelot s’oriente vers une nouvelle organisation de la forêt. Ainsi, l’adhésion, à l’échelle de la communauté de communes, à des « plans locaux forestiers » encadrés par un « conseil territorial des forêts »*, trace la voie à la co-écriture des PSG dans le cadre des instances précitées. « Tous nos concitoyens ont le droit d’accéder aux informations disponibles sur leur environnement et de participer à l’élaboration des décisions qui s’y rapportent », dit le rapport. La boucle est bouclée, le pire n’est jamais sûr, mais la conditionnalité des aides peut permettre des politiques très directives.
Nous sommes proches de la « forêt bien commun », initiant un basculement vers une forêt privée « sociétale ».
Les constitutionnalistes Louis Favoreu (1936-2004) et François Luchaire (1919-2009) définissaient le droit de propriété tel un droit artichaut : « Même si on lui retire une série d’attributs, il reste lui-même ; sauf si l’on touche au cœur, auquel cas il disparaît. »
La forêt dans une nouvelle ère paradoxale ?
Or, la problématique climatique confère à la forêt un nouveau statut et son positionnement dans la filière doit être réaffirmé. La forêt, en tant que principal réceptacle terrestre de la biodiversité, est une réalité non contestée, tandis que concernant la stratégie CO2, en matière de substitution (énergie et matériaux notamment), il n’y a pas grand chose en magasin, hors le bois**. Bref, le défi climatique place la forêt au centre des enjeux (séquestration du carbone, stockage, substitution). De ce fait, l’adaptation de la ressource forestière aux demandes prévisibles des marchés est un impératif stratégique pour l’investisseur en forêt. Cette exigence, non évidente pour le public, implique la liberté de gestion des forestiers, concrètement la libre disposition des choix et stratégies sylvicoles. En clair, le plein exercice de leur droit de propriété.
C’est dans un contexte où la forêt et les forestiers sont incontournables que la notion de propriété privée forestière risque d’être vidée de son sens. Au-delà de l’idéologie, le bon sens exigerait que les décideurs ultimes soient les preneurs de risques.
Bien entendu, chaque forestier perçoit ce mouvement selon sa sensibilité et ses convictions. Ceci est légitime et respectable.
Reste à démontrer la moindre efficacité de la gestion privée des forêts comparée à la cogestion sociétale, quant aux objectifs liés à la reconstitution de la ressource et à la gestion du carbone dans le cadre de la problématique climatique.
Bernard Ménez, propriétaire forestier finistérien
• Lire aussi : Forêt privée et société civile: la concertation est-elle possible? (du même auteur)
* La fédération des communes forestières (FNCOFOR) défend l’idée de plans locaux forestiers dans son manifeste de 2019. Le rapport d’information (2019) de la sénatrice Anne-Catherine Loisier plaide pour une gestion par massif.
Le conseil territorial des forêts serait constitué par les forestiers, les professionnels de la forêt, les citoyens, les élus, les associations.
** Ce changement de statut est symbolisée par l’article 178 de La loi « Élan » (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) du 23 novembre 2018, qui introduit la notion de stockage de carbone dans les bâtiments neufs. La réglementation environnementale RE2020 (ex-RT) applique la loi « Élan », en mettant la priorité sur les matériaux décarbonés dans les constructions neuves.