Relations forêt, société et transition écologique
Nos sociétés ne se contentent plus de l’acceptabilité sociale minimale obtenue sans débat (photo: droits réservés)

Réinventons la forêt-solution pour le climat et la société

 

La Fabrique écologique publie une note sur la forêt française. Elle interroge sa contribution à la transition écologique et les façons dont peuvent s’instaurer la confiance et un consensus entre forêt, forestiers et société. Hervé Le Bouler, le président du groupe de travail forêt de La Fabrique, lance une invitation au débat.

Depuis plus d’un an, des acteurs du monde forestier, gestionnaires, institutionnels, acteurs de la recherche et de l’enseignement, associations, ont travaillé au sein du think tank, ou laboratoire d’idées, La Fabrique écologique. Deux sujets liés ont été traités :
l’entrée de la forêt française dans le cœur de la transition écologique et son adaptation aux changements globaux ;
l’obtention de relations de confiance entre la société et le monde forestier, autour d’attentes de l’opinion majoritairement tournées vers la protection des forêts et de la nature et attachées aux valeurs émotionnelles et sentimentales qu’elles portent.

Relations société-forêts-forestiers : sortir de l’incompréhension

La surface des forêts en France s’accroît de manière continue depuis le XIXe siècle. Elle atteint aujourd’hui 17 millions d’hectares. Cet accroissement quantitatif est peu connu du grand public, comme le sont de nombreuses autres réalités du monde forestier et des forêts. Cette insuffisance de culture et d’éducation forestières nationales entraîne des incompréhensions et souvent des confusions entre la situation de la forêt française et celle, médiatisée et à bien des titres catastrophique, des forêts tropicales primaires. S’ajoute le rejet en France de certaines pratiques sylvicoles

Les relations société-forêts-forestiers risquent de se dégrader, vu aussi la méfiance générale de la société envers les structures représentatives de toutes natures – institutions et société civile organisée –, l’insuffisance de culture forestière collective et les effets amplificateurs des médias.

Incontournable gestion multifonctionnelle des forêts

La forêt est confrontée aux menaces sanitaires (parasites, pathogènes…) et aux pressions climatiques. Elle est aussi solution, en tant que réservoir de biodiversité, source de bienfaits culturels et environnementaux, milieu naturel de stockage de carbone et de production de bois. Le bois, justement, levier majeur pour sortir de la civilisation des matériaux et énergies fossiles, le bois renouvelable, ne dépendant pas du pétrole pour être produit.

Mettre en œuvre cette forêt-solution, c’est aussi répondre à des demandes complexes et croissantes. Aussi, la gestion multifonctionnelle devient incontournable via la protection des forêts, de leur biodiversité, l’augmentation des usages du bois et des puits carbone et l’offre faite à la société de paysages et d’images mentales correspondant aux attentes culturelles.

L’atonie de gestion d’espaces forestiers plus ou moins abandonnés est un facteur supplémentaire de difficulté laissant près d’un quart de la forêt française, essentiellement de petites propriétés privées, hors des logiques de protection, d’adaptation et d’efforts de participation aux transitions.

Un consensus à définir sur la gestion durable des forêts

Pour contribuer aux transitions écologiques, énergétiques et économiques, une réflexion profonde et d’ampleur nationale doit avoir lieu autour de la forêt afin d’atteindre un consensus sur sa gestion durable. Pour y parvenir, quatre mesures fortes et concrètes sont proposées par le think tank, accompagnées de suggestions sur l’organisation du débat.

  1. Privilégier les solutions fondées sur la nature, en préservant, restaurant et améliorant la gestion des écosystèmes

Les solutions fondées sur la nature sont des méthodes et des techniques de gestion qui utilisent les processus naturels et la biodiversité pour répondre aux besoins humains. En forêt, cela se traduit par la recherche d’une diversité à tous niveaux permettant une résilience forte des écosystèmes, face aux chocs climatiques et sanitaires, et la production durable de bois de qualité.

« Imiter la nature et accélérer son œuvre » est, depuis 200 ans, au cœur de la philosophie et des techniques forestières françaises.

Mettre la forêt française et le bois au cœur de la transition écologique en s’appuyant sur la nature et sur l’action du forestier ne constitue pas une révolution culturelle ou idéologique imposée brutalement de l’extérieur ou par les circonstances. Il s’agit en fait d’un retour aux sources même de la pensée forestière qui a émergé en France il y a plusieurs siècles.

Dès lors qu’elles évitent les excès d’artificialisation des sols, le recours aux intrants, la dégradation de la biodiversité locale et des sols, toutes les techniques sylvicoles sont mobilisables, y compris la plantation. Des innovations dans les techniques ont été présentées lors du récent colloque de l’INRA du 19 mars 2019 à Paris sur les plantations forestières, dont les concepts d’éco-plantation sont déjà disponibles.

  1. Rendre incontournable des plans de gestion collective pour la forêt privée afin de mettre en place une gestion productive sylvo-écologique et multifonctionnelle des 40 % de la forêt qui ne sont toujours pas gérés

Pour des raisons de structure foncière et d’histoire locale des territoires liée à l’exode rural et à l’évolution de l’agriculture, plusieurs millions d’hectares ne sont pas ou peu gérés alors qu’une gestion multifonctionnelle y est possible.

Cette non-gestion constitue un risque pour la forêt elle-même, dans un contexte de menaces climatiques et sanitaires. Face aux demandes croissantes de biomasse, il y a de plus un risque que l’entrée dans les circuits économiques du bois de ces parcelles ne se fasse que sous la forme d’une récolte minière indifférenciée de bois énergie, conduisant à la régression vers le taillis. Ces forêts sont au contraire, pour la plupart, des futaies en devenir si une gestion adaptée s’y développe.

L’absence de gestion conduit également à se priver de ressources présentes et futures en bois de qualité pour alimenter la transition écologique. Si la demande se développe, elle pèsera alors sur les seules forêts gérées, dont certaines, sont déjà dans l’impossibilité de fournir un effort supplémentaire, sauf à se mettre elle-même en péril.

L’existence de la non-gestion est connue depuis des décennies, sans solution jusqu’à présent, en dépit de nombreuses propositions et outils de politique publique faiblement utilisés. La probabilité de regroupement de propriétaires pour atteindre des surfaces suffisantes, afin de développer des modèles classiques d’aménagement, apparaît limitée. Faut-il s’y résoudre et abandonner tout espoir de changer les choses ? Y a-t-il des pistes et des voies non encore explorées ?

On peut penser alors à la gestion de protection de la biodiversité et au choix d’arbres d’avenir à conserver lors des récoltes, opérations qui seraient portées par les exploitants. La certification des récoltes et les contrats d’approvisionnement sont sans doute une occasion simple à la fois de prévenir les récoltes minières et de démarrer des actes d’amélioration des peuplements forestiers. L’enrichissement par des plantations, en particulier dans les forêts spontanées installées sur les friches agricoles, est une autre voie qui évite d’avoir recours à des opérations lourdes, écologiquement et socialement controversées de plantation en plein, avec destruction préalable de la forêt en place.

  1. Faire bénéficier la forêt et la filière de transformation des financements de la transition écologique et des crédits carbone, permettant d’y investir chaque année 2 à 4 milliards d’euros

Bien qu’il y ait eu débat, au sein du groupe de travail de La Fabrique écologique, sur l’importance du manque de moyens financiers en forêt et dans la filière de transformation, ce frein a été considéré comme réel.

L’estimation faite par le GIEC* d’un besoin total d’investissement annuel en France tous secteurs confondus de 70 milliards d’euros a conduit à une estimation provisoire de 2 à 4 milliards pour le secteur forêt-bois.

Les besoins concernent la rénovation et l’adaptation de l’outil industriel de première et seconde transformations du bois, le transfert des innovations de la recherche vers le terrain sur le matériau bois, la biochimie et l’adaptation à la ressource feuillue. En forêt, les besoins principaux concernent d’abord l’animation territoriale, préalable à toute mise en mouvement des propriétaires. Les maigres résultats des tentatives récentes de réactiver le modèle du Fonds forestier national (FFN) montrent à l’évidence qu’il faut inventer autre chose en s’appuyant sur les dynamiques territoriales hors forêt, comme celles qui existent dans les parcs naturels régionaux.

Où trouver l’argent supplémentaire ? Il n’y a rien ou si peu à attendre des maigres revenus disponibles de l’activité actuelle de la filière forêt-bois, pas plus que de l’argent des budgets publics dont on connaît l’état en France ; idem pour l’hypothèse de taxes nouvelles qui pèseraient sur la filière ou sur les usages du bois.

Le véritable enjeu est que la forêt et le bois ne restent pas les oubliés du financement général de la transition écologique globale, dont les modalités échappent largement aux forestiers et aux transformateurs.

Une relance classique par la demande est envisageable, si une mesure radicale comme l’obligation d’un taux minimal de bois dans la construction et la rénovation des bâtiments est réintroduite (comme le laisse présager la récente loi Élan).

  1. Mettre en place le débat avec la société

Cette place forte de la forêt française dans la transition écologique ne peut se faire hors de l’implication de toute la société. C’est à une sorte de pacte national pour la forêt et le bois qu’il faut tendre. Cela va bien au-delà des ambitions des campagnes classiques de communication. Nos sociétés ne se contentent plus de l’acceptabilité sociale minimale obtenue sans débat. Le monde forestier doit sortir de sa tendance à l’entre soi et aller au-devant de la société pour débattre, convaincre, envisager des compromis, et donc sur certains point changer ses pratiques et méthodes. La bonne volonté et l’ouverture d’esprit ne suffiront pas, le débat a besoin d’être organisé avec les apports des sciences sociales, négligées en France dès qu’il s’agit de forêt.

La note publiée, début avril 2019, est mise en débat pendant plusieurs semaines. Chacun pourra s’en saisir, la commenter, l’amender, avant une publication définitive à l’été 2019.

Hervé Le Bouler, président du groupe de travail forêt de la Fabrique écologique

* GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.



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Rubrique humoristique et satirique de la forêt et du bois


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