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Le bois de sapin pectiné peut-il diversifier ses débouchés ? L’exemple allemand de la forêt Noire montre que oui. Un récent voyage d’études, proposé par trois interprofessions, explore la filière outre-Rhin.
Le sapin pectiné couvre plus d’un million d’hectares en Europe, dont 600 000 à 800 000 ha, rien qu’en France. L’exemple allemand de la forêt Noire montre que cette essence peut jouer son rôle en futaie jardinée mixte, et trouver des débouchés.
L’interprofession de la Loire, Inter forêt-bois 42, s’est penchée depuis quelques années sur la valorisation du « roi des forêts », notamment de gros diamètres, qui peinent face à l’épicéa et aussi la monoculture du douglas.
Des débouchés limités en France
Les diamètres excèdent souvent ceux admissibles en canters. Les gros nœuds déclassent les sciages. Sur un marché de la construction qui évolue vers les bois secs et collés, les transformateurs sont confrontés à des difficultés de séchage. Le sapin sèche plus lentement et peut présenter des poches d’humidité résiduelles. Cette amplitude ne facilite guère l’aboutage et le collage, d’autant que l’industrie chimique préfère se concentrer sur l’épicéa, une espèce dominante à l’international, appréciée des charpentiers et constructeurs bois. De sorte que la majeure partie des sciages de sapin finit en bois d’emballage, voire en bois-énergie.
Pourtant, cette essence dispose d’atouts, comme l’a montré un voyage d’études organisé fin novembre 2016, en forêt Noire, par l’agence NVBCOM pour trois interprofessions rhône-alpines, Creabois Isère, Fibois Ardèche Drôme et Inter forêt-bois 42.
Faire reconnaître l’attrait du bois de sapin
Ce voyage d’études a rassemblé 45 participants d’horizons divers (forestiers, scieurs, négociants, architectes …). Il fait suite au séminaire dédié au sapin pectiné, qui s’est tenu dans le cadre du 6e Forum international bois construction, à Lyon en avril 2016.
Fondateur et président du Forum Weisstanne, une initiative pour la promotion du sapin pectiné en forêt Noire, l’administrateur forestier Ewald Elsässer a présenté le bilan de vingt années d’action, attisant la curiosité des spécialistes français de la transformation de cette essence. Le voyage d’études a constaté que les paysans forestiers de forêt Noire sont parvenus à faire reconnaître l’attrait de ce bois, notamment en revêtement dans une sélection presque sans nœuds. Les transformateurs français du voyage se demandent si ce travail de promotion est transposable.
Un appel pour des partenariats franco-allemands
Ewald Elsässer a lancé un appel à la filière française. Car les scieurs de sapin de la forêt Noire ne sont pour l’heure pas équipés pour fabriquer à grande échelle des bois collés ou des panneaux de bois lamellé-croisé (CLT). Peut-être que les transformateurs français pourraient y pourvoir, soit en fabriquant en France des bois collés en sapin qui viendraient compléter la gamme disponible en Allemagne, soit en transformant des bois livrés par l’Allemagne pour les réimporter ensuite. L’enjeu étant, d’une part, de disposer enfin de ces bois collés, devenus un standard de la construction bois en Allemagne, et d’autre part d’y écouler des sciages en qualité non visible (pouvant donc contenir des nœuds non visibles).
L’écoulement des qualités « menuiserie », sans nœud, ne pose plus problème en Allemagne selon Ewald Elsässer, au contraire (c’est apparemment aussi le cas en France). Seulement, cette qualité ne représente que 10 à 15 % des sciages de sapins de gros diamètre, tandis que la valorisation du reste est difficile (en France comme en Allemagne). Il faut donc parvenir à valoriser les qualités B et C, sans quoi la qualité A risque de rester sur pied.
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Le sapin dispose de quelques mérites. Outre l’aspect esthétique de sa qualité menuiserie, une coupe sur quartier aligne élégamment les cernes et contribue à la durabilité. Le caractère imprégnable du sapin permet de miser sur une utilisation en bardage et sur des solutions lasurées.
La forêt Noire, sans morcellement des parcelles
En Allemagne, la propriété privée est sous tutelle forestière publique. De la sorte, tandis que le marché évoluait vers l’épicéa, les propriétaires se voyaient enjoints de ne pas sacrifier leurs peuplements en sapin, pour des raisons écologiques.
La régénération du sapin est naturelle dès lors que l’équilibre sylvo-cynégétique est maintenu. Depuis 300 ans, en forêt Noire, les règles de succession interdisent le morcellement des parcelles boisées. Le cadastre y est à jour et les forestiers disposent en moyenne de parcelles cohérentes de 20 à 50 ha, où ils puisent en futaie jardinée des revenus réguliers.
Des entreprises familiales d’envergure internationale
En aval, les entreprises allemandes, souvent familiales, sont familiarisées de longue date avec la transformation du bois et certaines ont atteint un niveau d’excellence international. La scierie Echtle exporte des sciages de sapin jusqu’au Japon et fournit en plateaux l’industriel Lignotrend, qui a imaginé il y a 20 ans la maison bois massive sans tassement, puis les caissons acoustiques, puis les plafonds suspendus acoustiques en sapin.
Son voisin, Amann, fait partie de la poignée de spécialistes mondiaux de la construction bois, et ce sont eux qui ont signé le Centre Pompidou de Metz avec Shigeru Ban, architecte avec qui ils ont réalisé la programmation de l’immense œuf en bois de l’auditorium de la Cité musicale de l’île Seguin.
Des constructions bois emblématiques
Pour l’heure, le sapin n’a pas intégré des ouvrages prestigieux en structure. La tour panoramique de Kehl, qui offre une vue sur Strasbourg et l’Alsace, reste une exception. À Fribourg, la Maison du paysan recourt au sapin en façade, protégée par une peau en verre ventilée, et à l’intérieur sur toutes les surfaces apparentes. Le plus grand ouvrage en sapin structurel (qui associe tout de même une bonne part d’épicéa) se trouve à Baden Baden, au départ de la route touristique qui traverse le massif. Le choix du sapin s’est imposé pour un bâtiment destiné à promouvoir et commercialiser des produits du terroir.
Un état des lieux en préparation
Difficile de prévoir ce qui sortira d’un voyage d’études. Les Allemands envisagent de venir à leur tour en France, pour constater les différences et les similitudes. La prochaine édition du Forum international bois construction, à Épinal et à Nancy, devrait faire une bonne place au sapin. Les deux « totems » qui doivent être érigés à Épinal et à Nancy seront vraisemblablement en sapin, tandis que le bilan des récents voyages d’études viendra enrichir un état des lieux afin de déboucher sur des actions concrètes.
JT/Forestopic