La Fédération nationale du bois demande plus de protectionnisme. Stéphane Travert indique maintenir le caractère volontaire de l’adhésion au label UE et, en même temps, souhaiter son extension à la forêt privée.
Il faut sauver la filière du chêne et, pour cela, brider les exportations de grumes, en vue de favoriser la transformation du bois en France. C’est le message qu’a voulu faire passer la Fédération nationale du bois (FNB), lors d’une conférence de presse organisée le 6 février 2018, à Paris.
Sur ce sujet dont s’alarment les scieurs depuis plusieurs années, la fédération s’est déjà tournée vers le Premier ministre récemment, par parlementaires interposés. Elle sollicite cette fois-ci la presse, pour qu’elle interpelle le président de la République, Emmanuel Macron. Des parlementaires sont aussi susceptibles d’y apporter à nouveau leur écho.
Le label UE « sur la base du volontariat »
La FNB demande des mesures protectionnistes, notamment des quotas d’exportation par essence et qualité, un registre des exportateurs, un système de redevances phytosanitaires « fiable », le conditionnement des aides pour la forêt à la contractualisation des ventes de bois ou à la transformation du bois en France. L’organisation appelle à la redéfinition du statut des organisations de producteurs, en fonction de la valeur des bois que celles-ci vendent (et non plus du volume). La FNB souhaite aussi une priorité donnée à la forêt de production, des soutiens aux plantations forestières pour le reboisement, ou encore un plan pour les investissements.
Le label UE engage les acheteurs de bois à ce que la transformation de la matière ait lieu au sein de l’Union européenne. La FNB l’a impulsé avec l’Office national des forêts (ONF) et presse les forestiers privés d’y apposer leur signature également.
Au sein du gouvernement, c’est le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, qui le premier a répondu. Il a déclaré à M6, le 6 février 2018 :
« Il faut encourager les acteurs à se parler entre eux. Et puis, c’est porter, sur la base du volontariat, un label UE sur les bois qui sont aujourd’hui abattus sur le territoire national. »
Le lendemain, lors des questions au gouvernement, interrogé par le député de Haute-Saône Christophe Lejeune, Stéphane Travert a annoncé d’autres mesures :
« L’élargissement du label UE à la forêt privée, l’amélioration du dialogue entre les acteurs de la filière au sein de l’interprofession, et j’ai nommé Jean-Yves Caullet, président du conseil d’administration de l’ONF, pour accompagner les fédérations professionnelles dans cet exercice de clarification et veiller à établir un plan forêt-bois qui soit solide et robuste. Nous souhaitons encourager les acteurs de la filière à contractualiser, pour sécuriser les approvisionnements en chêne, et accroître la compétitivité des unités de première transformation, à travers l’innovation et à travers l’investissement. Je pense notamment à la mise en place d’instruments financiers à travers le Grand plan d’investissement. »
La FNB et 20 organisations
L’appel de la FNB sur le chêne s’affiche avec le soutien d’une vingtaine d’organisations professionnelles, allant de la tonnellerie à l’ameublement ou à la construction bois, dont certaines sont affiliées à la FNB :
– de la filière du chêne : la fédération des bois tranchés, celle du matériel industriel, agricole et ménager en bois (MIAM), la Fédération de l’injection des bois (FNIB), l’Union des fabricants de menuiseries extérieures (UFME), l’Union des fabricants et entrepreneurs de parquets (UFFEP), celle des industries de l’ameublement français (Unifa), les Tonneliers de France ;
– d’autres segments de la filière bois : Bois autoclave – Arbust, la Chambre du peuplier, le Syndicat des producteurs de granulés de bois, les syndicats des industries de l’emballage léger en bois (SIEL), de l’emballage industriel et logistique associée (SEILA), du charbon de bois, de la construction bois (Afcobois), l’Union des métiers du bois (UMB-FFB) ;
– des interprofessions du réseau France Bois Régions : Fibois Bourgogne-Franche-Comté, Fibois Alsace, Gipeblor (Lorraine), Valeur Bois (Champagne-Ardenne).
Le chêne, dans le sillage du hêtre ?
Le chêne est menacé, comme l’a été le hêtre dont la filière « n’existe plus », d’après Philippe Siat, président de la FNB. Concernant le hêtre, selon un rapport datant de 2011, produit par l’institut FCBA et la FNB, avec le ministère de l’Agriculture :
« Au cours de la décennie 1990, la Chine a constitué un très important marché à l’export pour les grumes de hêtre, masquant la perte progressive du marché du meuble. La tempête de 1999 a mis sur le marché des volumes très importants de hêtre, dévalorisant l’essence sur le marché chinois. »
Les scieries de feuillus tendent à être moins nombreuses et plus productives, y compris pour le chêne. La transformation du bois de chêne compte 550 scieries, pour un chiffre d’affaires de 420 millions d’euros et 26 000 emplois directs en France, troisième producteur mondial et premier européen. Les scieries de chêne organisent leurs équipes en 1x8, disposant donc d’une marge pour optimiser leur productivité.
Le peuplier serait une autre essence prisée sur les marchés mondiaux.
Complément d'info : Questions sur l’approvisionnement des scieries de chêne.
« Nous manquons tous de bois »
Les scieurs de chêne, on le sait, disent manquer de matière première. D’autant plus qu’approchent les ventes du printemps 2018, dans un contexte de demande soutenue et de cours élevés.
Valérie Deschaseaux est présidente d’une scierie en Haute-Saône (Bourgogne-Franche-Comté) qui, avec 49 salariés, utilise du chêne de qualité secondaire pour fabriquer du bois sous rail (traverses de chemin de fer). Elle témoigne :
« Depuis quelques mois, nous arrêtons la production le jeudi soir par manque de matière. Nous sommes le premier fournisseur de la SNCF et je dois décaler les livraisons. »
Un phénomène généralisé, selon Samuel Deschaumes, qui dirige une scierie en région Centre-Val-de-Loire :
« Nous manquons tous de bois. La plupart de nos moyens de production tournent au ralenti. »
Un million de m3 en moins pour les scieries
La récolte annuelle de chêne a plongé de quelque 400 000 m3 entre 2007 et 2017. Elle semble aujourd’hui orientée dans une dynamique haussière. Par ailleurs, l’Office national des forêts (ONF) s’apprêterait à diminuer de 60 000 m3, d’ici à 2020, sa production de bois de chêne de qualité supérieure. « Ce que pourrait compenser les forêts privées, si les prix continuent à rester élevés », anticipe Nicolas Douzain, délégué général de la FNB.
« Nous sommes au maximum de ce que les forêts sont à même de proposer », tempère-t-il cependant. D’où la focalisation sur le commerce extérieur.
L’export des grumes de chêne, anecdotique il y a une dizaine d’années, de l’ordre de 50 000 m3 en 2007, se monte aujourd’hui à quelque 490 000 m3 toutes destinations confondues, quoique la Chine demeure au centre des attentions. Elle en absorbe environ 352 000 m3. L’export des grumes vers la Chine tend à augmenter en 2017, retrouvant son niveau de 2015. Au total, l’export des grumes de chêne représente 21 % de ce qui est récolté, en intégrant les bois à sciages, à tranchage, et merrain. Il constitue 23,8 % des seuls bois de chêne à sciages. Le ministère de l’Agriculture l’évalue à 15 % de la récolte commercialisée en 2017.
Toutefois, selon le Syndicat de la filière bois (SFB), « plus de 85 % des chênes qui sont exportés en Chine sont essentiellement des bois de qualité inférieure (B / C), noueux et tordus, des grumes de faibles diamètres (< 40 cm) et des surbilles qui n’entrent pas – faute d’équipements adéquats (versus les scieries chinoises) – dans les process de production des scieries françaises ».
« Fraudes à l’exportation de grumes »
Quant à faire adhérer les forestiers privés au label UE, Antoine d’Amécourt, président de Fransylva, fédération des syndicats de propriétaires forestiers privés, se montre peu convaincu :
« Je suis un fervent défenseur de la transformation du bois en France. J’ai moi-même créé une scierie mobile pour inciter les propriétaires forestiers à valoriser le bois en circuits courts. Je ne vais pas souscrire au label UE, car il ne fonctionne pas ; des entreprises qui y adhèrent exportent. Que l’on y mette de l’ordre. De plus, le label a pour périmètre l’Union européenne. Que le bois soit transformé en Allemagne ou en Chine, dans aucun de ces deux cas, la valeur ajoutée ne vient en France. »
La FNB confirme l’existence de « fraudes à l’exportation de grumes ». Selon Nicolas Douzain :
« Des traders ont recours à des sociétés écrans, notamment dans l’Est. Des sociétés se créent au nom d’un proche. Quand ils se font pincer, ils recommencent avec une autre société. C’est pour cela que nous demandons que le label UE soit renforcé. »
Un système à maintenir, renchérit David Chavot, directeur général de la scierie Margaritelli Fontaines, « peu importe qui exporte, que ce soit des exploitants, des scieurs ou des tonneliers ».
La vente de bois sur pied (et non déjà coupé et façonné) peut être une parade face aux traders internationaux, aux yeux du SFB. Car « elle nécessite d’acheter les lots dans leur totalité et de prendre en charge les différentes opérations d’exploitation et la commercialisation de tous les produits ». Ce type de mise en marché reste un cheval de bataille pour ce syndicat qui rassemble des exploitants forestiers.
Derrière le protectionnisme, une guerre des prix ?
D’aucuns estiment que ces appels à fermer les frontières du marché du bois sous-tendent des velléités de déprimer les prix.
Philippe Siat, président de la FNB, déclare :
« Suivre l’intérêt particulier, c’est vendre à un instant précis au plus haut prix. L’intérêt général, c’est la structuration de la filière. Pour cela, il faut faire certains sacrifices. »
Et d’ajouter :
« Il a été dit que le label UE allait faire baisser les prix. Or, le cours du chêne a augmenté de 70 % ces 10 dernières années, du fait de la demande. »
Filière du chêne : et maintenant ?
« Cela fait 4 ans que je le dis : si les scieurs manquent de chêne, mettons-nous autour de la table pour établir où sont les chênes et les scieries qui en manquent », relève Antoine d’Amécourt, de Fransylva.
Même son de cloche à l’union de coopératives forestières UCFF. Selon son secrétaire général, Julien Bluteau :
« Depuis 2014, nous demandons où sont les scieries qui manquent de chêne, de quelles qualités et avec quel cadencement de livraison. »
La FNB, de son côté, plaide pour la nomination d’un médiateur des relations commerciales du bois.
Chrystelle Carroy/Forestopic
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