À peine le chef de l’État eût-il annoncé officiellement la reconstruction de Notre-Dame de Paris, qu’un chapelet de bienfaiteurs s’était déjà fait connaître. Dans ces « JO de la solidarité », les acteurs de la filière bois ne sont pas loin du podium. Après le green washing*, assiste-t-on à un « grume washing » ?
Fallait-il que la charpente de Notre-Dame porte le surnom de « forêt », pour qu’un flot d’élus et de professionnels de la forêt et du bois présentent leurs offrandes. Alors même que des cieux, elle se consumait encore dans les flammes ; quel enfer pour des poutres en bois !
Des forêts pour Notre-Dame de Paris
Le président de région Alain Rousset a proposé l’aide de la sylviculture et des savoir-faire néo-aquitains. Par ailleurs, 3 000 maires de Bourgogne-Franche-Comté sont mobilisés à l’instigation de Jacky Favret, président de l’union régionale des communes forestières. Le Syndicat de la filière bois (SFB) réservera, et même donnera, « les plus belles grumes pour la reconstruction du chef d’œuvre ».
Et 110 000 propriétaires forestiers de coopératives « offriront » leurs chênes. Comme Caisse des Dépôts. Comme Groupama qui offre aussi 1 300 chênes des forêts de Normandie et plus précisément de la forêt de Conches-en-Ouche (en série Collector donc). Sans compter la fondation Fransylva qui mobilise 3,5 millions de propriétaires forestiers privés : elle demande à ce que chacun d’entre eux donne un chêne. Ne manque plus que l’Office national des forêts (ONF) qui ne s’est pas (encore) exprimé.
Sans compter non plus les scieries et les exploitants forestiers de la Fédération nationale du bois (FNB) qui réserveront 1 300 chênes de qualité charpente.
Clé de voûte de l’édifice, qui d’autre que le président de l’interprofession France Bois Forêt (ou ses apôtres) pour coordonner cette solidarité en chêne… avec du bois issu des forêts cathédrales françaises (ou pas) ; car au moment où nous bouclons ce billet, la Confédération des propriétaires forestiers européens (CEPF) propose l’apport supplémentaire d’un chêne par pays membre de l’Union européenne. Ce qui ajoute 28 billons au décompte... ou 27 (sans ou avec Brexit).
Forêt de poutres, sanctuaire à grumes
Au final, serait-ce un parc à grumes et à sciages que s’apprête à ouvrir la paroisse de Notre-Dame sur l’île de la Cité à Paris, avec des catéchèses convertis en cours de menuiserie ? Mais, laissons ces aspects matériels et restons spirituels : qu’ont tous ces acteurs à se faire pardonner, pour que ces indulgences atteignent des volumes de bois sacrément démesurés ?
Saint Joseph, couvrez-nous ! Saint-Hubert, fournissez-nous !
En cette Semaine sainte, par quel miracle, et par quelle opération du Saint-Esprit, les chênes des forestiers français, qui manquaient hier à la pelle, ont-ils ressuscité ? Fallait-il rassurer le groupe Charlois, inquiet de l’approvisionnement et qui sanctuarise, lui aussi, une partie des chênes pour la reconstruction. Non, non, pas de marchands du temple. Aide-toi et le Ciel t’aidera.
« Je suis la lumière »
Et d’ailleurs, le bois sera-t-il bien l’élu pour rebâtir la charpente ? À propos du matériau, « c’est extrêmement solide et ce sont les bois nobles qu’on utilisait pour ce type de bâtiments à l’époque », ferraille Julien Lecarme pour les Compagnons du devoir… qui est charpentier et responsable de l’institut Charpente et construction bois. Les disciples du béton et du métal sont tenus à distance.
Enfin, pourquoi tant d’empressement, alors que le président de la République envisage une reconstruction durant le temps d’un quinquennat. La réponse se trouve peut-être dans l’évangile où Jésus dit : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »
De la générosité à la lumière médiatique, c’est l’intention (de prière et non de pierre) qui compte.
La Grive des bois, plume légère et satirique de la forêt et du bois
* Retrouvez la définition du green washing dans Grivoiseries : Défilé forestier de Chanel: à qui profitent les cimes et le glamour?
Mis à jour le 18 avril 2019