Extrait de la couverture du livre Forêts, des racines et des hommes
Extrait de la couverture du livre Forêts, des racines et des hommes

Forêts, des racines et des hommes. Un livre, des milliers de kilomètres et un déclic

 

Il y a plusieurs mois, j’avais commencé ici une chronique-édito irrégulomadaire « Charpente et racines », traitant de l’actualité forestière et me permettant d’exprimer des avis personnels.

Depuis presque un an je n’ai rien publié ici : il me fallait finir mon livre Forêts, des racines et des hommes, réécrire et encore réécrire le manuscrit pour y pourchasser le jargon forestier, les longueurs, les redites, les fautes, choisir les illustrations ; et, au dernier moment, intégrer les terribles feux de l’été 2022.

Le livre est publié, il appartient à ses lecteurs. Que retenir de cette aventure au long court ?

Une confirmation : les forestiers de terrain sont un peuple étonnant, attachant, savant, sincère et passionné. Un peuple avec des tas de tribus différentes : propriétaires, gestionnaires publics et privés, entreprises d’exploitation et de travaux, chasseurs et coureurs de bois en tout genre. Taiseux, voire méfiants quand il s’agit de sortir des forêts et de parler aux non forestiers. Intarissables quand il s’agit de parler entre eux, non pas d’eux-mêmes ou si peu et alors après un long temps à s’apprivoiser, mais des arbres et de la forêt. Nombre de fois, ils avaient prévu, pour m’accueillir, un long programme de visite et, finalement, on est resté dans la première parcelle au pied des premiers arbres. Et là, j’ai fini par comprendre que chaque parcelle parmi les milliers de parcelles toutes différentes contient tous les enjeux de la forêt française : la longue relation de couple entre la nature et les hommes, pour le meilleur et pour le pire et maintenant avec les incertitudes et les espoirs pour son avenir.

Je suis revenu profondément changé de ces milliers de kilomètres à la rencontre des forêts et des forestiers de France métropolitaine. Je m’en suis rendu compte quand j’ai commencé à replonger dans la communication sur la forêt et les forestiers ; faite par ceux qui ne sont ni l’une ni l’autre ; ou qui s’en sont éloignés. Je me suis retrouvé face aux mots et aux images venant des salles de réunion et des plateaux médiatiques. J’en suis resté ébahi : mais de quoi et de qui ils parlent là derrière leur micro s’adressant à d’autres devant leur écran ? De forêt certes, mais une forêt sur écran et sur papier devenue forêt prétexte à images, discours et toutes sortes d’instrumentations ; tellement autre, peu ressemblante à la forêt que j’ai rencontrée. Dans ces images, je m’y suis même revu à l’occasion, pas mieux, pas pire que les autres : vieux cabotin, langue de bois, éléments de langage ; de se revoir ainsi, l’ego en prend un coup !

Je crache dans la soupe qui m’a nourri pendant des années ? Un peu, je le confesse, c’est mon côté sale gamin, qui aime bien dire des gros mots et choquer.

Il n’empêche : il vaut mieux parler à tort et à travers de la forêt que de n’en point parler du tout. Les choses se décanteront, les gens deviendront plus compétents, sauront trier le bon grain de l’ivraie, la frime du vrai, le catéchisme de la spiritualité, les marchands de pantalons à une jambe des couturiers.

Cette décantation est à l’œuvre dans le massif landais ; elle va plus vite que je ne l’imaginais. Il s’est passé des choses terribles cet été en Gironde, des magnifiques aussi qui donnent confiance dans les hommes. Et maintenant, à tête reposée, le souffle retrouvé, il s’y construit de belles choses dans la manière de regarder la forêt après les incendies. J’ai confiance.

Il me faut aussi parler du projet de film promis, le petit frère du livre (portant le même titre Forêts, des racines et des hommes) : « Toujours rien chez moi », comme on dit en Bretagne, le bébé n’accroche pas, manque d’argent. Ça vient pas comme ça les gamins, faut être patient.

Et maintenant ? Ma vie de forestier continue et ma vie, c’est Chantilly*, soit 6 500 hectares de forêts en grand péril. Un forestier sans forêt est un exilé et je ne veux pas finir ma vie en exil.

Hervé Le Bouler

* En tant que conseiller scientifique de la directrice du domaine forestier du château de Chantilly.

Pour aller plus loin :
Forêts, des racines et des hommes, éditions Delachaux et Niestlé, octobre 2022, Paris, 240 pages, 34,90 euros TTC.
Classé « beau livre », l’ouvrage remonte la trace des forêts d’hier, nous emmène dans les forêts d’aujourd’hui, celles de l’aire méditerranéenne, du Jura, de Haute-Corrèze, du Massif armoricain, des Landes, ou encore de Verdun et Fontainebleau, et aussi dans « l’autre monde » ouvert par le changement climatique.


La rubrique Charpente et racines,
À la rencontre des forêts de France, de ses femmes et de ses hommes.
La charpente et les racines, ce sont les branches charpentières de l’arbre, le bois et le patrimoine, l’ancrage.