La mise en place de forest bonds ou obligations forestières, associées à un régime de taxe sur les transactions spéculatives, pourrait fournir à l’Union européenne un moyen d’affecter des fonds à la filière forêt-bois. Tribune de Florian Court.
Au vu des effets de la mondialisation des marchés et de la nécessaire reconnaissance publique des forêts pour la vie sur notre planète, il est actuellement essentiel de développer et financer des investissements de long terme sur le marché commun européen, comme ceux permettant la transition du secteur forestier. La forêt et le secteur forestier doivent être reconnus comme un système vertueux unique, capable de catalyser la finance et les capitaux, diversifier et sécuriser les portefeuilles d’investissement, promouvoir davantage d’humanité et d’éthique à l’intérieur des marchés.
Un cadre financier à créer pour des obligations forestières
Dans l’objectif d’établir de nouvelles ressources fiscales pour diminuer la part de contribution des États membres dans le budget du Vieux Continent, et ce afin de rendre opérationnel le « pacte vert » (Green Deal), tout en fournissant à l’Union européenne (UE) un moyen d’affecter des fonds au secteur forestier sur le principe des green bonds (obligations vertes), de réguler la finance forestière en luttant contre la spéculation afin de limiter la surliquidité et les faux ordres financiers, de réduire l’intraday (représentant environ 40% des transactions sur les titres en Europe) et de contenir la hausse de l’inflation afin de limiter la baisse du cours des obligations et donc une trop importante hausse des rendements obligataires (taux d’intérêt rapportés par les obligations) décourageant les emprunteurs, il est proposé, à travers cette tribune, la mise en place de forest bonds (obligations forestières) sur le marché commun (les notions financières sont explicitées dans l’encadré ci-dessous).
En parallèle et dans le but de soutenir le dialogue interprofessionnel afin de consolider la cohésion au sein des filières et d’en renforcer la gouvernance, bénéfique à la formation des prix, il semble important de réfléchir à la mise en place d’un organisme – interprofession européenne à but non lucratif axée sur l’investisseur – de gestion des forest bonds, ayant pour objectif de :
– soutenir des projets démonstrateurs et de suivre le marché des obligations forestières au sein du marché obligataire ;
– développer un standard de confiance, avec la mise en place d’un programme de certification des obligations forestières ;
– accompagner, conseiller les politiques nationales, en lien avec le comité permanent forestier de la Commission européenne ;
– favoriser le dialogue entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, agissant en faveur de la promotion des bonnes pratiques et de la transparence du marché – soutien au développement des contrats de filière.
La vente d’obligations forestières associée à un régime de taxe sur les transactions spéculatives doit avant tout permettre au marché commun d’attirer des investissements à long terme porteurs de technologie et d’emploi, et non des transactions spéculatives nocives et contre-productives. Deux types d’obligations forestières pourraient être vendues avec un coût dissocié : une obligation forestière « amont » (gestion, exploitation) avec une valeur du titre basé sur les services écosystémiques, et une obligation forestière « aval » (première et secondes transformations) avec une valeur du titre basé sur l’analyse de cycle de vie du bois.
Quelques notions
• Le marché obligataire est un marché financier où les entreprises peuvent emprunter des liquidités par création de titres de dette, connus sous le terme d’obligations. C’est le marché où sont émises, vendues et achetées les obligations.
• Une obligation verte est un emprunt émis sur le marché par une entreprise ou une entité publique auprès d’investisseurs pour lui permettre de financer ses projets contribuant à la transition écologique (énergies renouvelables, efficacité énergétique, gestion durable des déchets et de l’eau, exploitation durable des terres, transport propre et adaptation aux changements climatiques...).
• La finance forestière renvoie à un domaine d’activité, qui consiste à fournir ou à trouver l’argent ou les produits financiers nécessaires à la réalisation d’une opération économique propre au secteur forestier.
• Un faux ordre financier est un faux signal de vente ou d’achat donné par le marché. Le but d’un faux signal est, pour les market makers (créateurs, animateurs de marché), de « piéger » un maximum d’investisseurs (traders) en forçant un mouvement d’investissement inverse qui fera sauter les stop loss (le trader définit un ordre de clôture d’une position en cas de mouvement de prix défavorable pour limiter ses propres pertes), déclenchant un mouvement de panique qui contentera leurs intérêts.
• Le trading intraday consiste à réaliser un maximum de transactions de petite taille en une journée. Ces opérations sont perçues comme spéculatives et facteur de risque sur les marchés financiers.
Une nécessaire certification et un cadre réglementaire et technique
L’émission d’une obligation forestière (OF) par un opérateur économique européen ou extra-européen, coté ou non coté, serait alignée sur le Green Bonds Standard (GBS – norme européenne) de l’UE afin d’être reconnue comme obligation verte. À ce titre, une activité forestière pourrait être financée seulement si elle est référencée comme une activité économique durable.
Pour être utilisée en tant que telle, l’OF respecterait nécessairement une certification spécifique devant être mise en place. Cette dernière, associée à des critères de sélection technique propres au secteur forestier, entrerait dans le cadre des objectifs environnementaux retenus par l’UE.
Aussi, les projets forestiers devraient contribuer de manière substantielle à au moins un des six objectifs environnementaux du règlement sur la taxonomie de l’UE, à savoir : atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique, utilisation durable et protection des ressources en eau, transition vers une économie circulaire, prévention et contrôle de la pollution, protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
Les dépenses forestières (filière forêt-bois) pourraient inclure toute dépense d’investissement et certaines dépenses d’exploitation telles que les coûts de maintenance liés aux actifs forestiers, qui augmenteraient soit la durée de vie, soit la valeur actuelle ou future des actifs, ainsi que les coûts de recherche et développement.
L’évaluation et la vérification de la bonne utilisation des financements induits par l’émission des obligations forestières (évaluation de l’absence de préjudice significatif) seraient régies par le Green Bond Framework (GBF) de l’UE – outil permettant aux émetteurs d’expliquer aux investisseurs et aux autres participants du marché leur approche et les informations à fournir pour l’émission d’obligations alignées sur le GBS de l’UE.
En ce sens, la réglementation associée à la certification des forest bonds reprendrait le contenu du GBF.
Florian Court, conseiller en politique forestière et en politiques publiques