Le flétrissement américain est une maladie qui provoque la mort de chênes aux États-Unis d’Amérique. Il est crucial de tout mettre en œuvre pour éviter l’entrée et l’établissement en Europe de l’agent responsable de cette maladie, le champignon pathogène Bretziella fagacearum, car les chênes européens y sont très sensibles.
Identifié au milieu du XXe siècle, le flétrissement du chêne causé par le champignon pathogène Bretziella fagacearum est une maladie commune dans l’est des États-Unis d’Amérique. Tous les chênes d’origine nord-américaine sont sensibles à ce pathogène, mais avec des niveaux de vulnérabilité différents selon les espèces.
Le flétrissement américain, maladie létale outre-Atlantique
Les chênes de la section Lobatae comme le chêne rouge sont les plus vulnérables et peuvent mourir quelques mois après l’infection. La maladie a un cycle de vie semblable à celui de la graphiose qui a dévasté les ormes en Europe dans les années 1980.
Sur le tronc et les branches des arbres mourants, le champignon forme des structures grisâtres dans l’écorce qui produisent des spores. Des insectes (des scolytes et des nitidules), attirés par l’odeur de ces structures, viennent s’y enfouir et s’en nourrir. Lors de leur envol, ils transportent sur leur corps des spores. Ils transmettent alors le pathogène à des arbres sains lorsqu’ils s’y alimentent de sève dans les blessures fraîches ou dans les jeunes rameaux. Le champignon circule ensuite dans les vaisseaux du bois jusqu’aux racines. En réaction à l’infection, des taches noires et des excroissances se forment dans les tissus vasculaires de l’aubier qui bloquent la circulation de la sève. Les feuilles brunissent, tombent prématurément et les branches flétrissent. Dans les cas les plus sévères, l’arbre meurt en quelques mois. La maladie sévit dans tout type de paysage : forêt, zones urbaines, parcs et jardins.
Le pathogène se propage donc vers les arbres sains par voie naturelle, via les insectes sous-corticaux, mais aussi par greffe racinaire entre arbres voisins. Ce mode de transmission provoque en forêt des taches de mortalité. Dans ces deux cas, la propagation est assez locale. Mais la voie humaine via le transport de bois infecté est aussi un mode de dispersion très efficace et à longue distance créant ainsi de nouveaux foyers. En effet, dans les bois non écorcés, les structures sporifères du pathogène peuvent être visitées par les insectes déjà présents dans la nouvelle aire. Par ailleurs, le bois peut véhiculer des scolytes ou des nitidules porteurs de spores du champignon qui pourraient infecter des nouveaux arbres après leur envol. Le transport de bois de chauffage a ainsi permis la dispersion du pathogène dans des régions nord-américaines qui étaient jusqu’alors indemnes.
Les chênes européens, vulnérables au flétrissement américain
À partir des années 1970, les chercheurs européens se sont penchés sur cette maladie, s’inquiétant d’une éventuelle introduction de l’agent pathogène en Europe où le chêne tient une place prépondérante, à la fois économique, environnementale et sociale. Les premières réglementations sur l’import de bois de chênes ont été mises en place et des travaux de recherche ont été entrepris. Une des questions centrales était d’évaluer la sensibilité des chênes européens.
Grâce à un consortium de chercheurs des deux continents, des plantations de chêne pédonculé, sessile et pubescent issues de glands récoltés en Europe, ont été installées dans l’est des États-Unis d’Amérique. À l’âge de 15 ans, les chênes ont été inoculés artificiellement en mimant l’action d’un scolyte : blessure d’une extrémité de branche avec une aiguille et dépôt de spores. Trois mois après l’inoculation, les chênes européens présentaient un niveau de flétrissement du houppier proche de 90 %, équivalent au chêne rouge d’Amérique qui servait de référence dans l’essai. L’année suivante, près de 100 % des chênes étaient morts. Diverses espèces de chênes blancs américains utilisés en témoins et connus comme tolérants à la maladie présentaient de très faibles taux de flétrissement, ce qui confortait les résultats de l’expérimentation.
Dans un dispositif équivalent installé sous un climat méridional moins favorable à la maladie, les chênes européens présentaient également un flétrissement proche de 100 %, deux ans après inoculation, sans signe de rémission.
La conclusion est claire : les chênes pédonculés, sessiles et pubescents, qui couvrent près de 30 % de la forêt française, sont très vulnérables à l’agent pathogène. Les espèces de scolytes et nitidules qui véhiculent le pathogène aux États-Unis d’Amérique ne sont pas présentes en Europe. Cependant, différents attributs du scolyte intriqué, insecte commun dans les chênaies européennes, indiquent qu’il serait un très bon vecteur du champignon. Il présente notamment une capacité à envahir rapidement l’écorce des chênes fragilisés. Enfin, les conditions climatiques en France sont favorables à l’établissement de la maladie. Par conséquent, en cas d’introduction de l’agent pathogène en Europe, le risque sanitaire serait très élevé pour la chênaie française.
Contrôler et surveiller pour éviter une introduction en Europe
La voie d’introduction en Europe la plus plausible est le transport de bois non écorcé provenant des États-Unis. Comme expliqué plus haut, le bois non écorcé et notamment les grumes, peuvent contenir l’agent pathogène et/ou l’insecte vecteur porteur de spores. Par ailleurs, la durée de transport, même en bateau, n’est pas un frein à l’introduction : les deux agents, insecte et champignon, peuvent survivre plusieurs semaines sous l’écorce. Pour limiter ce risque, un règlement européen impose aux États-Unis d’Amérique que les grumes de chênes non écorcées soient fumigées par un produit phytosanitaire avant leur exportation vers l’Europe pour détruire les parasites. Les bois sciés peuvent être importés sans fumigation mais avec un traitement thermique pour faire baisser la teneur en eau à moins de 20 %.
Compte tenu de sa dangerosité, Bretziella fagacearum est classé comme organisme de quarantaine dans l’Union européenne. Cela signifie tout d’abord que des contrôles sont effectués dans les points d’entrée (ports, aéroports) pour vérifier que les produits importés susceptibles de le véhiculer sont conformes à la réglementation précitée.
Ensuite, une surveillance sur le territoire est obligatoire pour vérifier l’absence du parasite sur les produits bois et sur les hôtes sensibles dans les espaces verts, parcs, jardins (regroupés sous le nom JEVI) et en forêt. En cas de détection, des mesures sanitaires doivent être appliquées pour l’éradiquer. En France, les contrôles aux frontières sont effectués par le Service d’inspection vétérinaire et phytosanitaire (Sivep) ; la surveillance du territoire en JEVI et sur produit bois est réalisée par les services régionaux de l’alimentation (SRAL) ; et enfin la surveillance en forêt est réalisée par le département de la Santé des forêts (DSF). En cas de suspicion, des échantillons sont prélevés et analysés par des laboratoires agréés pour vérifier l’absence du pathogène.
L’inquiétude quant à une telle introduction est forte dans le milieu forestier. Par conséquent, le DSF entreprend chaque année une surveillance dans les chênaies dépérissantes présentant des symptômes évocateurs du flétrissement via son réseau de correspondants-observateurs formés à la reconnaissance des principaux organismes de quarantaine. En effet, pour optimiser les chances d’éradiquer ou d’enrayer un parasite exotique introduit, il est indispensable de le détecter précocement.
Face à l’omniprésence du chêne sur le territoire, une analyse de risque a été réalisée pour optimiser la surveillance en hiérarchisant les zones géographiques les plus à risque d’introduction de la maladie. Cette analyse prend notamment en compte la surface en chêne, la présence de points d’entrée de produits bois, la quantité de marchandises importées, et des données de température et de typologie du sol propices à l’installation de la maladie.
Limiter les importations pour préserver nos chênaies
La surveillance est une méthode indispensable pour détecter précocement et contrer l’invasion de parasites exotiques. Mais, il est primordial de rappeler que la méthode la plus efficace pour lutter contre les introductions est de limiter au maximum les importations de produits végétaux et de sol qui sont susceptibles de transporter des bioagresseurs d’un continent à l’autre. Les arbres et arbustes sont trop souvent victimes de ces importations. Par exemple, la graphiose de l’orme a été introduite en Europe par des grumes provenant d’Amérique du Nord, le chancre coloré du platane par des emballages en bois de l’armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale et la pyrale du buis par des plants venus d’Asie.
Dans le cas du flétrissement américain du chêne, les conséquences d’une arrivée du pathogène seraient catastrophiques. Il est important de prendre conscience que dès que l’on procède à des importations de grumes de chênes non écorcées provenant des États-Unis d’Amérique, on prend le risque d’une introduction d’un agent pathogène mortel pour nos chênaies. La réglementation européenne et les mesures sanitaires qui l’accompagnent limitent ce risque. Mais pour l’écarter encore davantage, une alternative est possible : l’importation de bois équarris qui évite le transport de pathogènes et insectes sous-corticaux ou l’utilisation de bois de chênes récoltés en Europe.
Claude Husson et Morgane Goudet (département de la Santé des forêts),
Sandy Duperier (Plateforme épidémiosurveillance en santé végétale, Inrae)
Les règles typographiques appliquées dans le présent article relèvent de la responsabilité de la rédaction de Forestopic.