Vue aérienne (juin 2024) du dispositif de recherche Orphee «Plantation forêts mélangées», mis en place par Inrae en 2008 (crédit photo: A. Marquot/Inrae)
Vue aérienne (juin 2024) du dispositif de recherche Orphee «Plantation forêts mélangées», mis en place par Inrae en 2008 (crédit photo: A. Marquot/Inrae)

La résilience des socio-écosystèmes forestiers nécessite un «grand» programme de recherche national (Forestt)

 

Face aux défis posés par le dérèglement climatique et son impact sur les milieux forestiers et le système socio-économique forêt-bois, le programme de recherche « Résilience des forêts » (Forestt) porte une approche interdisciplinaire autour de quatre principales ambitions. Forestt se lance en 2024 avec, d’ores et déjà, cinq projets ciblés.

 

Les socio-écosystèmes forestiers font face à trois horizons d’incertitude.

Le premier concerne le système climatique, c’est-à-dire le domaine des aléas. Il se décline en termes de projection tendancielle (vitesse des changements) et d’occurrence (fréquence et intensité) d’évènements extrêmes. Les déclinaisons locales et décennales de ces évolutions climatiques s’affinent, et les arbres, sentinelles du changement climatique, en sont les premiers témoins et les premières victimes. Selon les données du DSF et de l’IGN, en 10 ans, le taux de mortalité des arbres a augmenté de 80 %.

Le second porte sur la vulnérabilité des socio-écosystèmes forestiers. Il questionne, d’une part, les capacités de réponse et d’adaptation des écosystèmes aux aléas et, d’autre part, l’évolution des comportements des acteurs impliqués dans la gestion et la valorisation des forêts, ainsi que les changements de pratiques et de stratégies de gestion.

Le troisième enfin relève des enjeux portés par le système socio-économique, à la fois en termes d’attentes et valeurs des usagers et acteurs de la société civile, et en termes de réponse des acteurs forestiers et de la société à l’évolution des forêts.

Ces incertitudes posent la question de la mise en place immédiate de solutions transformatives d’adaptation, qui nécessitent de privilégier la flexibilité des adaptations proposées (on parle alors d’adaptabilité des adaptations), et imposent de nouvelles formes d’arbitrage entre les intérêts et les attentes des acteurs concernés. Ainsi, la dégradation des fonctionnalités écologiques et socio-économiques causée par l’accélération des changements globaux, ainsi que l’accroissement des tensions sociales et politiques en lien avec l’usage des forêts et l’évolution de leur gestion, sont parmi les enjeux majeurs auxquels doivent faire face les socio-écosystèmes forestiers.

Forestt, un programme à 40 millions d’euros

Dans ce cadre, en lien avec les recommandations émises suite aux Assises de la forêt et du bois, le ministère de lʼEnseignement supérieur et de la Recherche, ainsi que le secrétariat général pour l’Investissement, ont confié à Inrae – en collaboration avec le Cirad et le CNRS – le pilotage scientifique d’un « programme et équipement prioritaire de recherche » (PEPR) sur les forêts, afin de contribuer aux objectifs de renouvellement et d’adaptation des forêts au changement climatique, un des chantiers nationaux de la planification écologique.

Ce PEPR sur la résilience des forêts est intitulé Forestt. Il est lancé en 2024 pour une durée de 7 ans. Il est doté d’un budget de 40 millions d’euros financés par le plan d’investissement « France 2030 » (cf. infographie ci-dessous).

Il s’appuie sur un comité interinstitutionnel (auquel s’ajoutent, aux trois établissements précités, AgroParistech, le CNPF, l’IGN, l’IRD, l’ONF, les universités de Lorraine et de Montpellier), un comité des parties prenantes (une vingtaine de membres) et un conseil scientifique.


Architecture du programme et équipement prioritaire de recherche PEPR Forestt

Architecture du programme et équipement prioritaire de recherche PEPR Forestt (crédit: Christophe Plomion)
(crédit: Christophe Plomion)

Mener la recherche forestière pour le long terme

L’intérêt majeur des PEPR réside dans la capacité qui est redonnée aux scientifiques de programmer la recherche, donc de passer d’une économie de la science court-termiste et largement basée sur la compétition entre les chercheurs, à une programmation sur le long terme et permettant de donner une dimension plus collective et une capacité stratégique à la recherche.

Cette capacité stratégique est notamment incarnée par une approche socio-écosystémique des enjeux forestiers. Traiter les enjeux auxquels fait face la filière forêt-bois, par une telle démarche, revient à considérer que les facteurs « sociaux » (acteurs, institutions) et « écologiques » (variables de l’écosystème) interagissent les uns avec les autres de façon dynamique, à différentes échelles, au sein d’un système intégré.

D’un point de vue scientifique, il s’agit primo de reconnaître l’interdépendance entre systèmes sociaux et écologiques, donc la nécessité impérieuse d’étudier les interactions dynamiques entre ces deux systèmes avec en point de mire l’interdisciplinarité pour la traiter. Ainsi, le PEPR Forestt ambitionne de faire cohabiter plusieurs disciplines, donc plusieurs types de raisonnement, afin de combler les lacunes des approches monodisciplinaires.

Secondo, il s’agit d’intégrer les attentes exprimées par les parties prenantes avec, comme point d’appui, la transdisciplinarité pour les traiter. Ainsi, Forestt vise à intégrer de manière holistique les connaissances, les attentes et les valeurs exprimées par les acteurs dans toute leur diversité. Il a de ce fait pour objectif de contribuer à l’amélioration de nos capacités prospectives, au développement d’outils d’aide à la décision et à l’accompagnement des politiques de planification écologique.

Quatre ambitions pour la recherche

Le programme Forestt porte les quatre ambitions principales ci-après.

  1. Fédérer, structurer et pérenniser une recherche intégrée.

Il s’agit d’accompagner la transition des socio-écosystèmes forestiers (tempérés et tropicaux). Plus précisément, Forestt contribuera à structurer la communauté scientifique nationale autour de quatre défis scientifiques :
gouvernance : cette première priorité s’adresse aux enjeux sociétaux associés à la transition des socio-écosystèmes ;
bioéconomie : cette seconde priorité porte sur le développement d’une bioéconomie circulaire et agile, basée sur le bois ;
résilience : cette troisième priorité vise à mieux comprendre les capacités d’adaptation et de résilience des écosystèmes forestiers afin de maintenir une capacité d’atténuation des effets « négatifs » des changements globaux ;
monitoring : cette quatrième priorité vise à déployer des systèmes de surveillance intelligents pour accélérer les découvertes scientifiques, l’appui aux politiques nationales forêt-bois et à la gestion des forêts.

  1. Promouvoir des approches systémiques, l’interdisciplinarité et la co-construction avec les parties prenantes.

  2. Renforcer les capacités de formation initiale et continue.

  3. Proposer et expérimenter des trajectoires innovantes de gestion adaptative, de restauration et de conservation des forêts.

Cinq projets ciblés pour la forêt

Pour nourrir ces quatre ambitions, le programme Forestt s’appuiera à la fois sur des projets ciblés et sur un appel à projets (AAP) administré par l’ANR, ouvert à l’ensemble de la communauté scientifique et précédé d’un appel à manifestation d’intérêt, ouvert du 25 avril au 4 juillet 2024 sur le site Web de l’ANR.

Les projets ciblés sont au nombre de cinq. Ils ont été préparés en 2023, suite à un processus de construction participatif, en réponse aux termes d’une lettre de mission interministérielle envoyée au PDG d’Inrae, pour répondre à des enjeux majeurs auxquels font face les socio-écosystèmes forestiers. Ils sont lancés au second semestre 2024 pour une durée de 6 ans. Ils impliquent une large communauté scientifique nationale dans un cadre d’analyse interdisciplinaire.

Ces projets visent à :
– favoriser le renouvellement forestier et l’adaptation des socio-écosystèmes forestiers au changement climatique (projet Rege-Adapt) ;
– analyser et gérer les risques multiples pour les socio-écosystèmes forestiers (projet X-Risks) ;
– développer un système agile de monitoring écologique des forêts (projet Monitor) ;
– intégrer les connaissances, développer la co-construction, le dialogue et la formation (projet Forestt-Hub) ;
– développer le partage, l’accessibilité et les « services informatiques » permettant l’exploitation des données recueillies sur le fonctionnement et la dynamique des socio-écosystèmes forestiers (projet Num-Data).

Les actions de recherche menées dans chacun d’entre eux sont présentées sur le site Internet du programme, ainsi que sur sa chaîne YouTube.

Les projets sélectionnés dans le cadre de l’AAP ouvert complèteront les priorités scientifiques abordées au sein des projets ciblés.

La forêt intégrée dans plusieurs stratégies nationales

Forestt s’ancre d’abord dans le programme national de la forêt et du bois (PNFB), qui fixait dès 2016 les orientations de la politique forestière pour les forêts publiques et privées, et qui prévoyait des mesures pour diminuer les incertitudes liées aux changements globaux grâce, entre autres, à la recherche et à la diffusion des résultats de celle-ci auprès des porteurs d’enjeux. Les grandes orientations scientifiques avaient alors été détaillées dans le Plan recherche & innovation 2025 de la filière forêt-bois, qui s’est aussi nourri du contrat stratégique de la filière forêt-bois (CSF bois) entre 2014 et 2018.

Plus récemment, dans le cadre des Assises de la forêt et du bois (2021), la construction d’un « grand » programme de recherche a été identifiée comme une action prioritaire du plan d’action pour accompagner, par les connaissances scientifiques, les stratégies nationales en matière de gestion des forêts et de développement de la filière bois. La forêt, longtemps restée en marge des orientations politiques, est ainsi aujourd’hui fortement associée à un certain nombre de stratégies nationales (Lutte contre la déforestation importée, Biodiversité 2030, Adaptation au changement climatique, Énergie et climat) et de manière plus générale aux enjeux de planification écologique (incarnés par le plan « France Nation verte »).

Christophe Plomion, spécialiste en écologie évolutive, Inrae,
Arnaud Sergent, spécialiste en sciences politiques, Inrae,
co-directeurs du PEPR Forestt,

et Fanny Gascuel, manageuse du PEPR Forestt, Inrae.


ANR : Agence nationale de la recherche.
Cirad : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
CNPF : Centre national de la propriété forestière.
DSF : département de la Santé des forêts du ministère français de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
Forestt : Forêts et changements globaux : systèmes socio-écologiques en transition.
IGN : Institut national de l’information géographique et forestière.
Inrae : Institut national de recherche pour l’agriculture, l'alimentation et l’environnement.
IRD : Institut de recherche pour le développement.
ONF : Office national des forêts.


En résumé
Le PEPR Forestt est un programme de recherche interdisciplinaire sur la transition socio-écologique des systèmes forestiers, en zones tempérées et tropicales. Ce programme s’inscrit dans le cadre du plan d’investissement « France 2030 ». Doté d'un budget de 40 millions d’euros sur 7 ans (2023-2030), il est coordonné par Inrae et fédère l’ensemble de la communauté scientifique française travaillant sur les enjeux forêt-bois.



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