Pourquoi le livre La vie secrète des arbres a-t-il touché le cœur des amoureux des arbres et de la forêt ? Quelles sont les limites de l’ouvrage ? Dans son numéro de décembre 2017, Forêts de France analyse le succès du forestier allemand Peter Wohlleben.
Sorti en Allemagne en 2015, traduit dans de nombreux pays et en France en 2017, le livre La vie secrète des arbres s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde. Il a réalisé en France des scores de prix Goncourt avec 250 000 ventes. Le film L’intelligence des arbres, largement inspiré du livre, connaît le même succès dans les salles où il est diffusé. Comment l’expliquer ?
Pour tenter de comprendre ce succès, Forêts de France a interrogé un large panel de spécialistes de la forêt et en premier lieu des représentants de la communauté scientifique dont certains travaux ont inspiré l’ouvrage de Peter Wohlleben. Si les réserves des scientifiques sont patentes, force est de constater qu’elles n’ont pas réussi à émerger dans le raz de marée suscité par le livre.
« Populariser les sciences forestières »
En septembre 2017, l’Académie d’agriculture rédigeait une note de lecture pourtant explicite. En substance, elle reconnaissait que Peter Wohlleben avait fait preuve dans son ouvrage de « beaucoup de passion et d’un sens développé de la pédagogie » et que son livre soulevait « de multiples questions pertinentes sur la vie des arbres au sein des forêts ». Mais la critique pointait juste après : « Nombre de réponses qu’il apporte prêtent malheureusement le flanc à la critique ».
Au-delà de ces réserves formelles sur le contenu, le succès du livre interroge. Le microbiologiste Francis Martin, spécialiste à l’INRA des relations entre les champignons et les racines des arbres, relativise les critiques :
« J’ai vraiment apprécié ce livre car je l’ai lu comme un conte. Pour moi, l’auteur propose une vision poétique, imagée de la forêt et de la communauté des organismes qu’elle héberge. Bien sûr, sa vision est très anthropomorphique, les résultats scientifiques sont parfois mal compris, mais c’est quand même inattendu de voir un best-seller décrire la forêt et la biologie des arbres de façon aussi détaillée. »
Le scientifique conclut :
« Par sa vision naïve et poétique de la forêt, Peter Wohlleben a réussi à populariser les sciences forestières, profitons-en ! »
Quelle communication pour la filière forêt-bois ?
Pour la filière forêt-bois, le livre présente toutefois un danger évident. En comparant les arbres à des êtres vivants qu’il faut laisser vieillir en paix, Peter Wohlleben condamne l’exploitation « moderne » des forêts. Ce message risque de brouiller la communication de la filière qui souhaite développer les usages du bois.
Forêts de France a interrogé pour ce dossier de nombreux professionnels. Des praticiens de la gestion forestière, de l’exploitation et du commerce du bois, rappellent les efforts réalisés en matière de gestion durable des forêts. Le livre fournit l’occasion de reparler de la futaie jardinée, des mesures prises pour limiter les impacts de l’exploitation sur les sols, ou encore des forêts laissées en libre évolution dans les parcs nationaux.
Reste qu’il faudra, sur ces sujets, trouver les mots et les messages en mesure de capter l’attention du grand public, comme Peter Wohlleben a su si bien le faire.
Pascal Charoy (Forêts de France)
Sur le même sujet :
• L’intelligence des arbres, le film et le livre qui sèment la controverse
• Point de vue. L’intelligence des arbres: au-delà des controverses, où va notre société dingue des arbres? Par Meriem Fournier (AgroParisTech)