Les forêts françaises ont doublé de surface depuis le début du XIXe siècle. Elles sont donc composées au moins pour moitié d’anciennes terres cultivées, de pâtures et de landes. Dans quelle mesure l’utilisation passée des terres influence-t-elle la faune et la flore des écosystèmes forestiers ? La Revue forestière française explore la question dans sa dernière livraison, entièrement consacrée aux forêts anciennes.
Les changements d’usage du sol ont pour effet d’accroître ou de diminuer les surfaces forestières selon les régions, et de fragmenter ou de défragmenter les massifs boisés. Les espèces présentes sont plus ou moins vulnérables à ces évolutions.
La continuité de l’état boisé (c’est-à-dire la permanence temporelle de l’usage forestier du sol) ou son ancienneté doivent être différenciées de l’âge du peuplement forestier et des éléments associés, comme les vieux arbres ou le bois mort. Ainsi, il est possible de trouver des jeunes peuplements et des peuplements d’âge intermédiaire aussi bien en forêt ancienne qu’en forêt récente.
Qu’est-ce qu’une forêt ancienne ?
Les forêts anciennes correspondent à des forêts n’ayant pas connu d’interruption de l’état boisé depuis une date de référence. Quelle date de référence faut-il prendre en compte ? Certaines modifications des sols peuvent persister pendant des centaines, voire des milliers d’années. C’est le cas des apports de phosphore en agriculture, dont on observe encore la trace dans les anciens champs gallo-romains retrouvés dans les forêts actuelles. En l’absence d’arguments écologiques précis, trois sources sont disponibles à l’échelle nationale en France :
– la carte de Cassini (échelle du 1/86 500), a priori la plus ancienne (1749-1790) ;
– le cadastre napoléonien (1812-1850) ;
– et la carte d’état-major (1818-1866), réalisée à une date proche du minimum forestier français qui pourrait se situer dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Des plantes qui préfèrent les forêts anciennes ?
Qu’en est-il de la flore ? Plusieurs listes de plantes vasculaires typiques de forêts anciennes ont été publiées. Mais, la préférence pour la forêt ancienne n’est pas absolue, c’est-à-dire que l’on rencontre des espèces de forêt ancienne en forêt récente, et inversement.
De plus, il n’est pas facile de déterminer si les différences observées sur les sols (et la flore) sont la cause des usages passés ou leur conséquence. En effet, les terres les moins accessibles (forte pente, altitude élevée, éloignement des villages) et situées sur les sols les moins productifs ont eu tendance à être moins défrichées pour l’agriculture par le passé, et après le déclin de l’agriculture traditionnelle, les plus susceptibles d’être abandonnées en premier.
Des forêts anciennes qui ne peuvent pas être remplacées
Les forêts récentes ont potentiellement une valeur économique directe plus élevée, puisque la productivité y est souvent plus forte en raison d’une amélioration des conditions de sol (épierrement ou retrait des pierres, amendement, apports organiques).
Quant aux forêts anciennes, elles ont une valeur plus élevée que les forêts récentes, pour au moins une composante de la valeur : la valeur de remplacement, car la diversité particulière qu’elles recèlent ne peut guère être reconstruite quand elles ont été détruites. C’est le reflet du temps long nécessaire à la construction de certaines caractéristiques des écosystèmes.
Une application des cartes de forêts anciennes est l’établissement des trames vertes, visant au maintien de corridors écologiques. Les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), qui définissent ces trames vertes dans les territoires, peuvent porter une attention particulière au maintien de la connectivité entre forêts anciennes.
Des forêts anciennes plus ou moins présentes selon les régions
En France, les forêts anciennes sont suffisamment fréquentes (environ 50 % des forêts de métropole, si l’on prend comme référence le dernier minimum forestier du XIXe siècle) pour que, à l’échelle de l’ensemble du territoire national, il n’y ait pas, pour l’instant, besoin d’un statut particulier de protection.
Mais, cela n’est plus vrai à l’échelle locale, soit en raison d’un taux de boisement global faible (dans les Hauts-de-France par exemple), soit dans un contexte de fort boisement mais uniquement d’origine récente (dans le Massif central). En revanche, les régions du nord-est de la France sont fortement boisées et avec une forte proportion de forêts anciennes. C’est le cas du futur parc national des forêts de plaine, en cours de création entre Champagne et Bourgogne (en régions Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté). Il cumule un boisement de plus de 50 %, et des forêts aux trois quarts anciennes, qui justifient en partie le choix de sa localisation.
Il reste encore de nombreuses questions à approfondir, comme exploiter toutes les sources cartographiques et les marqueurs environnementaux (pollens, charbons…), ou progresser en matière de reconnaissance de la valeur patrimoniale des forêts anciennes dans les politiques publiques de gestion et de conservation.
D’après « Écologie historique et ancienneté de l’état boisé : concepts, avancées et perspectives de la recherche »
par Laurent Bergès (Irstea, unité de recherche Lessem) et Jean-Luc Dupouey (INRA, unité mixte de recherche Silva)
paru en juin 2018 dans la Revue forestière française nº double 4 / 5-2017 entièrement consacré aux forêts anciennes.