Renouveler les peuplements forestiers est un enjeu essentiel pour les propriétaires forestiers privés. En effet, il est devenu un lieu commun de dire que la forêt française n’exploite que 50 % de sa production biologique. Donc, la forêt privée vieillit : elle remplit moins bien sa fonction de production et donc sa fonction économique, privant la filière d’une ressource locale essentielle.
Renouveler les peuplements forestiers est une opération difficile, ingrate mais ô combien satisfaisante lorsqu’elle réussit !
J’ai moi-même beaucoup planté dans le cadre de ma carrière professionnelle de forestier en coopérative et dans le cadre de la propriété familiale, où d’abord mon père, puis moi plantons depuis 61 ans ! Il y a eu naturellement des échecs, mais fort heureusement beaucoup de réussites !
Quelles sont donc les clefs d’un renouvellement réussi et les tentations à éviter ?
Le choix d’un conseiller forestier
Comme il s’agit d’une opération difficile et qui peut paraître hasardeuse, il est impératif de s’entourer d’un conseiller forestier (tel que conseiller de coopérative ou expert forestier). Celui-ci saura proposer différentes solutions adaptées à la situation globale de la propriété : proportion feuillus-résineux-peupliers ; répartition peuplements jeunes-peuplements vieux ; capacité à suivre les renouvellements, capacité financière, etc.
Tentation à éviter : demander l’avis de tout le monde et Dieu sait qu’il y a de nombreux conseillers en forêt privée ! Tous sont excellents, mais tous n’ont pas la vision globale de la propriété, certains raisonnent en techniciens purs. Demander l’avis de personnes non nécessairement qualifiées (comme son garde) conduit le propriétaire… à ne rien faire !
Parer au vieillissement de la forêt
Avant de se lancer dans l’action sur une parcelle, il convient de penser à la globalité de la propriété. Pour cela, il faut demander à son conseiller forestier de calculer la surface idéale de renouvellement qui se traduit par l’effort de renouvellement consenti sur la propriété.
Prenons un exemple simple. Je possède 30 hectares de peupleraie. Je fixe l’âge d'exploitabilité du bois à 25 ans, je dois donc renouveler 30 ha tous les 25 ans, soit 1,2 ha par an. Si mon plan simple de gestion (PSG) est établi pour 10 ans, cela fait 10 × 1,2 soit 12 ha. À ces 12 ha, peuvent s’ajouter ou se retrancher des parcelles en avance ou en retard de récolte. La surface ainsi définie constitue l’effort de renouvellement, qui doit se traduire dans le programme de coupes et travaux. Pour ma part, je considère que ce calcul devrait être obligatoire dans tous les PSG, ceci pour tenter de régler l’un des maux de la forêt privée, c’est-à-dire son vieillissement.
Tentation à éviter : prévoir trop peu ou trop de renouvellement. Trop peu : on garde des peuplements qui s’abîment. Trop : il faut pouvoir mettre en face, les moyens techniques… et financiers pour que ce renouvellement n’aboutisse pas à un échec, des plantations non entretenues par exemple.
Le diagnostic du peuplement à renouveler
Plusieurs méthodes permettent de faire un diagnostic :
– calcul de la surface terrière : ceci est accessible aux professionnels. Cela consiste à calculer le nombre de m² de surface de section d’arbres. En fonction du résultat on peut définir la richesse (ou la pauvreté) du peuplement ;
– classement d’un échantillon d’arbres (en général 25 m de rayon autour du point de calcul de la surface terrière) par essence et par classe de diamètre pour définir la proportion de petits bois, moyens bois et gros bois.
Ce diagnostic étant réalisé, on peut définir, de manière objective, si le peuplement est un peuplement d’avenir ou non :
– le peuplement d’avenir comporte une relativement faible proportion de gros bois, et les petits et moyens bois sont de bonne venue et susceptibles de prendre la relève des gros bois ;
– le peuplement sans avenir compte uniquement des gros bois sénescents ou uniquement des petits bois ou moyens bois de mauvaise qualité, pas ou peu adaptés à la station.
– Le comptage en plein est une autre méthode. On compte tous les arbres par essence et classe de diamètre de 5 cm en 5 cm. Cette méthode est assez rapide, à condition d’être en présence de trois opérateurs, un qui note, deux qui appellent. Comme en général, la parcelle n’est pas grande (quelques hectares), une journée suffit. Le diagnostic est ainsi plus certain.
Une fois le peuplement sans avenir ainsi diagnostiqué, il y a deux modes de régénération, celle dite naturelle et celle cultivée (reboisement).
La régénération naturelle des forêts, à manier avec précaution
La régénération naturelle est l’aboutissement d’un long processus, bien connu des professionnels. Dans ma région d’activité, le Pas-de-Calais et la Somme (Hauts-de-France), cette opération est rendue difficile, voire hasardeuse, par la présence d’une ronce exubérante, de fougères, de bouleaux, de saules marsaults. Il faut réserver cette méthode aux propriétés qui possèdent des moyens humains compétents et réguliers.
La première tentation à éviter serait de se contenter d’une mono-régénération, par exemple avec l’érable sycomore. Nombre de propriétés se régénèrent naturellement en érable sycomore et en abondance. Le risque est alors de réduire la production forestière à une essence marginale et susceptible de connaître des problèmes sanitaires. L’exemple de la chalarose du frêne devrait faire réfléchir les propriétaires !
La deuxième tentation à éviter consiste à croire qu’une régénération abondante ne nécessite pas de traitement ! C’est ainsi que l’on voit des jeunes futaies issues de régénération naturelle qui n’ont fait l’objet d’aucun traitement et dans lesquelles on a bien du mal à recruter des arbres d’avenir.
Une autre tentation à éviter est d’obtenir une régénération naturelle, sans l’accompagner de coupes secondaires et définitives : c’est ainsi que l’on voit des futaies de hêtres surannées avec en dessous des petits vieux ! Quel dommage !
La plantation forestière en différentes étapes
• La préparation mécanique du sol
Nos sols limoneux ou argileux sont sensibles au tassement, un broyage mi-lourd, des souches juste arrondies pour un entretien plus facile, un sous-solage et ce sera bien. Ou alors, une préparation à la minipelle équipée de la dent Becker. La tarière classique donne aussi de bons résultats, à condition de ne pas travailler dans l’humidité afin de ne pas lisser les bords du trou.
Des tentations à éviter :
– une préparation du sol avec de gros engins, bien lourds qui malaxent nos sols limoneux ; le résultat visuel est beau, mais trompeur ! ;
– un sous-solage par temps humide ; à ce moment-là, la sous-soleuse n’éclate pas le sol !
• Le choix de la densité de plantation
En résineux : entre 1 100 et 1 500 plants par hectare. Pour les entretiens, il faut une interligne au minimum de 3,5 m entre les arbres. En feuillus, il est possible de descendre à 650 plants par hectare (4 m sur 4 m), à condition de bien les suivre en taille et élagage.
Tentation à éviter : des interlignes trop étroits en dessous de 3 m, ce qui interdit très vite le dégagement mécanique, visant à repousser la végétation concurrente.
• Le choix de l’essence
Le choix de l’essence dépend de la station, ce qui nécessite de bien l’étudier : profil de sol, test d’acidité, vérification avec les plantes indicatrices de la station, etc. Il dépend ensuite de la stratégie de gestion du propriétaire : feuillus, résineux, peupliers ? Il dépend enfin des perspectives de changement du climat dans la région.
En ce qui me concerne, je considère qu’on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion à l’échelle de la propriété et qu’il faut un équilibre entre peupliers, résineux, feuillus précieux et feuillus sociaux, ceci pour répartir les risques sanitaires, commerciaux et patrimoniaux. Il est évident que ceci ne s’applique qu’aux propriétés qui permettent d’accueillir toutes ces essences.
Tentation à éviter : le mélange d’essence pied à pied ou par ligne. Ces situations sont difficiles à gérer : les essences objectif et les essences d’accompagnement ne poussent pas à la même vitesse et la gestion est difficile et coûteuse ! Il vaut mieux, à mon sens et pour développer une certaine diversité d’essences (à ne pas confondre avec la biodiversité qui est un concept beaucoup plus large), planter 10 % d’essences précieuses parmi les feuillus sociaux et surtout travailler par blocs d’essences différentes.
Néanmoins, en cas d’aides publiques, la réglementation oblige à ces mélanges d’essences pour éviter la mono-régénération, rendant ainsi un peu plus difficile la production bois de qualité.
• Le suivi et l’entretien des plantations
Il faut travailler avec beaucoup d’intensité les deux premières années pour ne pas perdre les plants. Puis, entre 10 et 20 ans de travail régulier sont nécessaires pour obtenir une future futaie pleine de promesses !
Tentation à éviter : laisser se développer le taillis d’accompagnement. Dans la quasi-totalité des situations, ce taillis, bien implanté et même recépé lors de la préparation du sol, pousse bien plus vite que les plantations et finit par les dominer puis les étouffer si l’on n’y prend pas garde ! Il faut alors utiliser les grands moyens pour sauver la plantation : tronçonneuse ou pire, le Sylva’Cass, un outil qui casse les bois et qui vous laisse un champ de bataille impénétrable !
• La protection contre le gibier
La protection contre le gibier nécessite de raisonner une fois encore au niveau de la propriété, voire du massif. Lorsque la propriété recèle de nombreux espaces ouverts (lisières avec la plaine, allées de tir bien larges permettant la présence de lisières intraforestières, nombreuses plantations jeunes, etc.), on peut faire des impasses ou mettre en place des techniques économiques. Personnellement, je fais l’impasse sur le hêtre, le laissant sans protection, mais en gérant la ronce autour de l’arbre. Pour les feuillus précieux, je privilégie la protection traditionnelle. Pour les résineux, je mets trois bambous en triangle.
Le cerf, j’ai la chance de ne pas en avoir, mais je suppose que la présence du cerf est un véritable frein au renouvellement.
Une tentation à éviter est le recours systématique aux protections classiques. Dégager les plants sur la ligne de plantation, ce qui ouvre au chevreuil la route des plants !
La plantation en enrichissement ou sous couvert ou par bandes dans le taillis
Ces techniques visent à réaliser des économies en ne plantant que quelques dizaines ou centaines d’arbres par hectare. Elles ne sont pas à conseiller, car les inconvénients et les échecs sont nombreux. Le suivi est difficile, les trouées se referment beaucoup plus vite qu’on ne le pense et les arbres sont dominés. Lorsqu’on veut dégager ces plantations, on oublie leur emplacement, si on exploite des arbres sur la périphérie, les arbres peuvent tomber sur les plantations.
Néanmoins, si l’on doit recourir à des enrichissements, deux essences peuvent tirer leur épingle du jeu : le peuplier forestier et le merisier. Ces deux essences ont un point commun, leur démarrage rapide. Ainsi, s’ils sont oubliés, ils s’affranchissent vite des ronces et du taillis, surtout pour le peuplier. Le peuplier en enrichissement peut représenter une solution pour les futaies dans lesquelles on a extrait les frênes touchés par la chalarose.
Le financement
Planter coûte cher ; il faut donc envisager des modes de financement à la fois classiques et nouveaux. Avec les modes classiques (Feader et AMI Dynamic Bois), l’autofinancement doit être au minimum de 30 à 40 % du produit de la coupe. La protection contre le gibier est à imputer au revenu issu de la chasse. Des modes de financements nouveaux se développent, notamment Plantons pour l’avenir.
La tentation à éviter : n’avoir pas le courage de monter un dossier de financement (ce qui est ma tendance !).
En conclusion, renouveler la forêt privée est une ardente obligation à la fois pour les générations futures, pour la filière forêt-bois, mais aussi pour le stockage du carbone et même pour la biodiversité. En effet, il commence à être admis que les peuplements en croissance sont de meilleurs stockeurs de carbone que les peuplements adultes vieillissants. Pour la biodiversité, les intervenants chercheurs du dernier colloque sur la plantation au ministère de l’Agriculture (Renfor, mars 2019) ont montré que la plantation n’était pas défavorable à la biodiversité.
Par ailleurs, la plantation favorise la chasse, du fait du couvert végétal qu’elle entraîne.
Un rapport de la Cour des Comptes, publié en 2015, s’alarme sur le manque important d’investissement en forêt privée. C’est à se demander si les propriétaires croient encore à la production forestière ! Une plantation, bien réfléchie, bien conduite, est rentable, ne l’oublions pas.
Pierre de Chabot-Tramecourt, propriétaire sylviculteur, ancien directeur de coopérative forestière
Texte révisé par AgroParisTech, qui n’engage cependant que son auteur.