Alors que les coupes rases continuent de faire polémique, Christian Pinaudeau, docteur en droit forestier, questionne les griefs dont cette pratique forestière fait l’objet.
Les coupes rases constitueraient pour les forêts en France une menace, au même titre que le changement climatique. L’exercice est acrobatique, faute de lien évident et documenté entre les effets du réchauffement sur les forêts et les modes de prélèvement de bois en forêt. Indiquer qu’il est « difficile de justifier les coupes rases, même sanitaires, auprès de l’opinion publique » [1] n’est jamais… qu’une opinion.
L’obligation de reboiser assortie de l’interdiction de défricher
Supprimer les coupes rases permettrait de « sauver » la forêt française des conséquences du réchauffement climatique, comme le laisse entendre le rapport parlementaire Couturier-Panonacle, présenté en mai 2023 ?
C’est oublier que la loi oblige le propriétaire forestier public ou privé, après chaque coupe, à reboiser (aucun terrain forestier ne reste en friche) et interdit de défricher (article L341-3 du Code forestier). Ce cadre juridique obligatoire est unique au monde. En plus, suivant le Code forestier (articles L124-5 et L124-6), la taille des coupes est sous le contrôle des préfets dans chaque département : combien de procès-verbaux dressés par les directions départementales des territoires (DDT ou DDTM) pour coupe illégale, non-respect du délai de reboisement fixé à 5 ans ou atteinte au milieu boisé… ?
Ce cadre juridique rappelé, sur le terrain, fait-on des coupes rases partout et systématiquement ? En réalité, de quoi parlons-nous, tant la faiblesse desdites coupes est patente : environ 34 000 hectares par an [2], soit 0,2 % des 17 millions d’hectares de la forêt de France métropolitaine. De surcroît, cette technique dépend des essences ; le plus souvent sur des peuplements de résineux conduits pour produire du bois, elle est pratiquée dans quelques régions, surtout dans le massif des Landes de Gascogne, où se trouvent plus de la moitié des surfaces de coupes rases effectuées en France.
Quel impact des coupes rases ?
Historiquement, cette technique sylvicole n’est pas nuisible, ni théoriquement, ni pratiquement, et scientifiquement ? Le séminaire, organisé par le GIP Ecofor et le RTM Aforce en novembre 2022, a réuni une soixantaine de chercheurs sur ce thème. Les conclusions diffusées à l’issue du séminaire témoignent d’une grande prudence, y compris sur l’érosion que les coupes rases seraient censées amplifier. Elles remarquent que cela dépend de leur étendue et de leur position, le facteur pente l’emportant sur tous les autres. Elles souhaitent donc la poursuite des études, précautions que les forestiers connaissent et admettent.
Et si les coupes rases étaient utiles ?
De fait, le couvert boisé étant souvent fermé, tellement dense que le recrû ne pousse pas, une coupe rase de quelques hectares provoque un effet clairière, d’où une colonisation végétale qui fait les délices des ongulés. Il n’y a donc pas « perte de biodiversité », mais surgissement d’une autre, provisoire, le temps que le reboisement la remplace. Mais, si la biodiversité sciaphile est jugée « meilleure » que l’héliophile, oui, il y a débat, mais qui en sera le juge, qui décidera ? Avec quelle légitimité ?
Dans les Landes, où la coupe rase des pins maritimes est pratiquée depuis la création du massif, les feuillus et la flore qui apparaissent alors enrichissent le sol, podzol des plus ingrats. Cette abondance momentanée de flore et de faune représente une valeur ajoutée biologique indiscutable ; des espèces menacées, inféodées aux coupes rases, tel le papillon Fadet des laîches, reviennent alors. Être objectif implique de ne pas condamner trop vite les coupes rases. Elles ont leurs vertus.
Quelles traces laissent les coupes rases 40 ou 50 ans après ?
Les coupes rases sont souvent critiquées au nom de ce que nous nommerons le « syndrome de la fenêtre » : beaucoup de gens estiment que ce qu’ils regardent leur confèrent un « droit au paysage ». Toute modification les choque, surtout quand il s’agit de citadins : ils n’ont pas l’habitude de scruter les nuages et de voir les paysages évoluer avec les saisons ou les coupes, contrairement aux agriculteurs pour qui ces données sont essentielles.
Cependant, informer le public, expliquer l’intérêt de couper et de replanter, lui permet de comprendre que le temps des forêts n’est pas celui des hommes. Ici ou là, la dernière coupe rase avait eu lieu quand ? Il y a 40 ou 50 ans, aucune trace depuis longtemps, personne ne s’en souvient jusqu’à celle d’aujourd’hui… et qui sera suivie d’un reboisement.
Les tempêtes Lothar et Martin de 1999, Klaus de 2009, provoquèrent des « méga-coupes rases » ! Les habitants étaient abasourdis. Les forestiers étaient traumatisés. Mais à force de travail, de contact avec la population, la pédagogie fit son effet : villageois et résidents surent qu’ils reverraient un jour le paysage aimé grâce aux engagements des forestiers à reboiser. Qui d’autre ?
Suite à ces catastrophes et aux reboisements, a-t-on eu davantage d’érosion ? Moins de biodiversité ?
Pour un fonds national de garantie
Rappelons que les coupes rases sont réglementées et, en plus, contraintes par les labels de certification forestière, elles sont définies en fonction des surfaces, des peuplements, du lieu (% de la pente) et des circonstances locales.
En France, les coupes rases menacent moins les forêts que le changement climatique, les maladies ou les incendies : voilà les problèmes à résoudre.
Cela suppose une politique pour adapter le patrimoine sylvicole au réchauffement, pour restaurer les milieux boisés les plus affectés : instaurer un Fonds national de garantie pour la protection des forêts (ou fonds national de gestion des risques forestiers, phytosanitaires et incendie, abondé par les propriétaires), ce serait un vrai acte politique pour la gestion soutenue des forêts et qui restaurerait aussi la confiance dans le futur de l’investissement forestier.
Est-il encore temps ?
Christian Pinaudeau, docteur en droit
• Autour du sujet : articles traitant des débats sur les coupes rases
[1] Rapport Assemblée nationale du 2 mai 2023 sur l’adaptabilité de la politique forestière au changement climatique.
[2] Le rapport GIP-Ecofor/RTM-Aforce évalue les coupes rases à 31 100 hectares par an (hors défrichement), entre 1980 et 1988. Le chiffre de 34 000 hectares par an constitue donc une moyenne haute.
GIP : groupement d’intérêt public GIP Ecofor ; RMT : réseau mixte technologique.