La politique de l’environnement de l’Union européenne est devenue la pierre angulaire de la stratégie forestière européenne à horizon 2030. Mais, au risque d’oublier le bois. Pour autant, une politique forestière commune est-elle envisageable ? La Revue forestière française traite de la question.
Depuis plus de 30 ans, les enjeux environnementaux liés aux biens publics (changement climatique, biodiversité, eau…) et leur déclinaison dans des politiques territoriales (agriculture, forêts, aménagement du territoire) ont été fortement sollicités et s’imposent aujourd’hui à toutes les échelles de pouvoir. Même s’il y a pratiquement l’unanimité autour des objectifs généraux pour protéger les multiples services écosystémiques, il devient plus problématique de traduire ces objectifs en mesures particulières. Il faut les décliner sur le terrain, trouver les financements correspondants et se mettre d’accord sur les méthodes de sylviculture. Il va de soi que, dans ce processus, les discussions entre administrateurs et gestionnaires du terrain risquent de devenir conflictuelles. Dans ce contexte, l’Europe peut nous fournir quelques exemples intéressants tirés de la mise en œuvre de Natura 2000. Après des débuts difficiles et des débats parfois houleux entre les protagonistes, plusieurs États membres ont su développer une concertation correcte entre les différents acteurs sur le terrain.
La forêt dans le Green Deal
La stratégie du Green Deal de la Commission européenne a placé en 2019 les thématiques environnementales au cœur de l’élaboration des politiques de l’Union. Les actions relatives aux forêts se focalisent surtout dans les grandes thématiques environnementales suivantes :
– la stratégie de la biodiversité, avec notamment les directives « Oiseaux » et « Habitats » qui forment le réseau Natura 2000* ou récemment la proposition de la Commission sur la restauration de la nature ;
– les efforts pour atténuer les effets du changement climatique, en particulier la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec le règlement sur l’utilisation des terres, la foresterie et l’agriculture ;
– une réduction de la part des énergies fossiles dans notre consommation d’énergie, avec la directive sur les énergies renouvelables (RED) ;
– la lutte contre la déforestation au niveau mondial, notamment par le programme FLEGT, le règlement « Bois » interdisant la mise sur le marché européen de produits de bois provenant de coupes illégales ou le projet de règlement récent de la Commission relatif à la « déforestation importée ».
La stratégie forestière européenne, un sous-fief de la stratégie Biodiversité
Les défis européens actuels du secteur forestier s’articulent donc grosso modo au sein d’un triangle équilibré enveloppant les thématiques environnementales du climat, de la biodiversité et de la bioéconomie. Mais force est de constater que la stratégie forestière européenne 2030 se présente plutôt comme un sous-fief de la stratégie Biodiversité. Et pour éviter tout malentendu, tout en reconnaissant que la protection de la biodiversité est cruciale pour un bon fonctionnement des écosystèmes forestiers, on aurait pu espérer que l’Europe fasse un effort similaire dans les domaines jumelés du changement climatique et de la bioéconomie.
Beaucoup de nos forêts ont perdu en résilience au cours des dernières décennies face à des perturbations comme de longues périodes de sécheresse, des incendies de grande envergure et des attaques massives d’insectes. On vit dans une période pleine d’incertitudes et, d’ici à 50 ans, la structure des forêts pourrait avoir complètement changé. La grande majorité des sylviculteurs a pris conscience qu’ils ne peuvent plus gérer leurs propriétés comme avant, ils sont en train d’expérimenter des méthodes sylvicoles innovantes ou alternatives pour augmenter la résilience des écosystèmes forestiers en prenant soin de diversifier la composition et la structure de leurs peuplements et en essayant de régénérer la forêt naturellement.
La stratégie forestière par contre concentre beaucoup d’efforts à trouver des définitions de forêts primaires et anciennes au niveau européen ou à développer des lignes directrices pour des pratiques forestières plus proches de la nature au risque de négliger un nombre de problèmes concrets des gestionnaires du terrain. Pour reprendre seulement l’exemple de la régénération naturelle, les forestiers attendent depuis des années des initiatives concrètes de l’Europe aidant à diminuer la surpopulation quasi générale des ongulés dans nos forêts qui met en péril dans beaucoup de régions toute tentative de régénération naturelle. Le milieu forestier européen a besoin maintenant de l’Europe pour accompagner tous ces changements brutaux. Le secteur forestier a besoin d’un appui conséquent, une sorte de « plan Marshall » encourageant et stimulant notamment tous les efforts sur le terrain pour améliorer la résilience de nos écosystèmes forestiers et accompagner à moyen terme l’adaptation de nos peuplements au changement climatique.
Dans sa stratégie Bioéconomie et économie circulaire, la Commission met bien en évidence les grands objectifs visant la transition vers une économie neutre en carbone. Il va sans dire que la filière bois et ses industries européennes offrent des solutions multiples pour contribuer à atteindre les objectifs de neutralité carbone. Le bois est un matériau renouvelable et réutilisable, sa transformation émet peu de CO2, les produits de bois contribuent temporairement au stockage du carbone. Cependant, la stratégie forestière 2030 reste loin derrière les attentes de la filière bois pour inciter et encourager l’utilisation du bois dans la construction, l’emballage, l’ameublement et beaucoup d’autres domaines de notre vie quotidienne. Elle se limite plutôt à décrire quelques projets en cours, particulièrement dans le domaine de la recherche, au lieu de créer des conditions économiques et écologiques plus propices permettant de substituer du bois et produits en bois à d’autres matières premières beaucoup plus polluantes.
Une politique forestière commune, fausse bonne idée à court terme ?
La stratégie forestière de l’Union européenne évoque dans son chapitre 6 intitulé « Un cadre de gouvernance forestière de l’UE inclusif et cohérent » : « Une structure de gouvernance forestière de l’UE plus inclusive et mieux coordonnée ». L’idée classique d’introduire une politique forestière commune revient dans ce contexte de temps en temps à l’agenda. Au stade actuel, une telle discussion risque de ne pas mener très loin. Le Traité de l’Union européenne qui définit les compétences de l’Union pour légiférer ne prévoit pas de base légale distincte pour fonder une politique forestière commune. C’est pourquoi le secteur forestier a le choix entre :
– rattacher la forêt à une politique Union européenne existante, comme la politique environnementale ou la politique agricole commune (PAC) ; on peut douter que ces deux éventualités puissent recevoir une très large adhésion au sein du secteur forestier européen, certes pour des raisons très différentes ;
– envisager une modification du Traité en introduisant un chapitre additionnel « Forêts », ce qui nécessiterait l’unanimité des 27 États membres ; en tenant compte des discussions difficiles au sein de « Forest Europe » pour créer un instrument légalement contraignant pour les forêts au niveau paneuropéen qui ont finalement échoué, la réussite d’une telle initiative paraît peu probable au niveau de l’Union européenne au stade actuel.
Le secteur forestier est confronté à une série de défis qui ne s’arrêtent pas aux frontières des États membres. Le changement climatique avec ses conséquences météorologiques extrêmes, les périodes prolongées de sécheresse, les incendies de forêt, la dégradation des forêts et l’altération de la biodiversité forcent le milieu forestier à sortir de son schéma habituel afin de préserver et d’augmenter l’aptitude des forêts à fonctionner comme des écosystèmes résilients. L’Europe peut jouer sans doute un rôle essentiel pour soutenir ces efforts. C’est donc le moment propice pour convaincre le secteur forestier de se mettre à l’heure européenne en mettant à disposition des instances européennes son savoir et son expertise en matière forestière.
Extrait de l’article « Comment sa politique environnementale a-t-elle conduit l’Union européenne à intervenir dans les politiques forestières ? Une rétrospective sommaire sur cinquante années d’évolution »,
Paru dans la Revue forestière française, vol. 74 nº 1 (2023)
Par Robert Flies,
fonctionnaire de la Commission européenne (1982-2017), correspondant associé de l’Académie d’Agriculture de France, conseiller pour les questions forestières à l’ELO (European Landowners Organisation), membre du conseil d’administration de la forêt privée luxembourgeoise.
* Les forêts représentent environ 50 % de la superficie totale Natura 2000 et Natura 2000 concerne environ 21 % des ressources forestières totales de l’Union européenne.
La Revue forestière française évolue
La Revue forestière française (RFF) a intégré, en décembre 2021, la plateforme de revues Open U, avec diffusion en ligne en accès libre.
À présent, la version papier du périodique propose une nouvelle maquette plus dynamique, en format A4. La publication devient trimestrielle (au lieu de bimestrielle).
La RFF ne change pas sa thématique et reste une publication francophone sur la forêt, le bois et les milieux naturels. Les différents types d’articles sont conservés, ainsi que les rubriques.
Le numéro 1-2023 sous son nouveau jour est paru le 15 mars 2023. Le numéro 2-2023, programmé pour le mois de juin, se consacre aux « ateliers Regefor 2020. Forêts en crise : relevons le défi ! ».