La gestion multifonctionnelle s’appuie sur les trois piliers interdépendants des fonctions économiques, écologiques et sociales des forêts. Cela nécessite, pour les forestiers qui les gèrent, de savoir observer, dialoguer et prendre en compte de multiples enjeux, eux-mêmes en évolution. Faut-il ajouter de nouvelles fonctions pour la forêt ?
La gestion forestière repose sur l’idée de multifonctionnalité, un concept qui englobe les différents rôles clés que la forêt remplit pour notre société.
Traditionnellement, cette multifonctionnalité s’appuie sur trois grands piliers. « Derrière le pilier de la production, on pense souvent à la production de bois, mais la forêt génère une multitude d’autres ressources, comme les champignons, le gibier ou les usages pastoraux », explique Sébastien Diette, expert forestier au sein du cabinet Alcina.
La dimension sociale comprend l’usage récréatif des espaces forestiers, leur valeur paysagère et leur rôle dans l’accueil du public.
La fonction de protection inclut des notions aussi diverses que la préservation des sols, la gestion de la ressource en eau, la séquestration du carbone et la préservation de la biodiversité et des habitats.
Pour Sébastien Diette, le gestionnaire doit désormais prendre en compte une quatrième famille d’enjeux, celle de la résilience face aux risques. « Les menaces qui pèsent sur la forêt étaient souvent intégrées avec les enjeux de protection. Les gestionnaires doivent cependant aujourd’hui cartographier les risques incendie, les dépérissements, et adapter la gestion, en les équilibrant avec les trois autres familles d’enjeux », explique-t-il.
La rédaction du document de gestion durable, un moment clé
Pour le propriétaire forestier, la rédaction du document de gestion durable permet souvent de matérialiser les enjeux multiples, afin de faire vivre les équilibres. « Le plan simple de gestion (PSG) est un outil dans lequel il est possible d’inscrire beaucoup de choses. Il devient de moins en moins “simple” » explique Sébastien Diette. Il précise :
« Lorsqu’on renouvelle un plan de gestion aujourd’hui, on se rend compte que le document est beaucoup plus évolué qu’il y a quinze ans. Depuis peu, le PSG intègre par exemple un chapitre sur les risques, la carte des obligations légales de débroussaillement (OLD) en vigueur localement. La majorité des propriétaires viennent nous voir avec un projet de mise en gestion et de valorisation de leur forêt. La rédaction du PSG permet ce moment d’échange et de pédagogie avec les propriétaires. »
Dans les sites classés, l’enjeu du patrimoine historique
Une fois les enjeux identifiés, le gestionnaire doit prévoir comment, sur un même espace, faire interagir harmonieusement les fonctions de production, celles sociales, de protection, et de résilience face aux risques. « C’est là que l’on trouve des modes de gestion pertinents, capables de répondre à la fois aux exigences environnementales, économiques et sociales », explique Sébastien Diette.
« Le contexte législatif impose la prise en compte de certains enjeux, précise-t-il. Notre positionnement n'est pas de faire de ce corpus règlementaire une contrainte mais au contraire de l’utiliser. » Cela est particulièrement vrai dans le quart sud-est de la France, région d’intervention du cabinet Alcina. « Une grande partie du territoire est en zone Natura 2000, nous avons un fort maillage de sites classés et de périmètres de protection. » Cela implique pour les experts et gestionnaires locaux de se former à la prise en compte d’enjeux moins forestiers, comme celui du patrimoine historique.
« Dans les zones à forts enjeux, nous interagissons systématiquement avec les chargés de mission Natura 2000, responsables du document d’objectifs, avec les référents forêt des parcs naturels régionaux (PNR). Pour les sites classés, nous devons également travailler avec les inspecteurs des sites au sein des Dreal*, qui souvent n’ont pas de formation forestière, et souhaitent prévenir les impacts sur le paysage et donc préserver le patrimoine dont ils ont la charge », détaille Sébastien Diette. Les PSG en site classé font l’objet d’une présentation du dossier en commission des sites, devant entre autres des représentants de la société civile, ce qui constitue souvent « un joli challenge », surtout lorsque la gestion proposée intègre de l’exploitation forestière.
De plus en plus d’enjeux sociaux dans la gestion forestière
Pour mettre en œuvre cette gestion multifonctionnelle, « nous travaillons chez Alcina de manière quasi exclusive en sylviculture mélangée à couvert continu, explique Sébastien Diette. Nous nous sommes également rendus compte que nous poussions toujours assez loin les dimensions environnementales et écologiques, et que nos recommandations de gestion correspondaient assez bien au référentiel FSC. Nous avons obtenu il y a trois ans la certification FSC pour devenir le premier gestionnaire certifié dans le sud de la France. La certification est pour moi un moyen pertinent, pour un propriétaire, de valoriser une gestion particulièrement multifonctionnelle. »
La gestion multifonctionnelle constitue une opportunité pour les propriétaires. « Il ne s’agit pas d’être dans une logique non productive, dans laquelle il faudrait spécialiser les zones en fonction des enjeux. Il est tout à fait possible d’intégrer différentes fonctions », conclut Sébastien Diette. Pour les gestionnaires, cela implique d’intégrer toujours plus de cordes à leur arc. « J’observe une dynamique en cours chez les experts forestiers, qui s’ouvrent de plus en plus à de nouvelles thématiques. La gestion des aléas nous oriente vers une multifonctionnalité qui se systématise. Désormais, quelle que soit la région, nos confrères intègrent de plus en plus les enjeux sociaux dans leurs modèles de gestion. »
Forêts de France publie, en janvier-février 2025, une approche pratique de la gestion multifonctionnelle. Le dossier de ce n° 680 propose une définition de la gestion durable et multifonctionnelle en forêt privée, des témoignages de terrain, une présentation des formations clés pour apprivoiser la gestion multifonctionnelle, et une ouverture sur la question du financement.
Blandine Even (Forêts de France)
* Dreal : directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement.