Ouvrez vos oreilles, les chercheurs écoutent les forêts

Magnétophone installé au sein de la réserve biologique intégrale de Campagne, en Dordogne (crédit photo: David Setau/ONF)
Magnétophone installé au sein de la réserve biologique intégrale de Campagne, en Dordogne (crédit photo: David Setau/ONF)
Ouvrez vos oreilles, les chercheurs écoutent les forêts

Qu’est-ce que les vocalises des oiseaux, les cris des chauves-souris, les bruits de la nature ou des activités humaines, peuvent nous apprendre sur la biodiversité forestière ? Plusieurs programmes de suivi sonore des forêts se développent en France.

 

Plus de 200 sites forestiers sont amenés à accueillir des magnétophones en France métropolitaine. Pour mieux suivre les populations d’oiseaux ou de chauves-souris ou même la pollution sonore, l’écoacoustique se développe dans une diversité de massifs. Deux projets de recherche se lancent ; l’un est porté par l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – c’est le programme Sonosylva – ; l’autre relève du volet « monitoring » du programme de recherche PEPR Forestt.

Avec l’écoacoustique, « l’observation est non intrusive »

Nicolas Hette-Tronquart, chargé de mission recherche à l’OFB, expose :

« L’écoacoustique permet de prendre en compte les interactions entre les êtres vivants, par exemple les sons émis pour trouver un partenaire sexuel ou pour se défendre, ou bien l’absence de son pour se cacher d’un prédateur. De plus, avec l’écoacoustique, l’observation de la biodiversité est non intrusive, elle ne perturbe pas le milieu. »

Comment se caractérisent les paysages sonores de différentes sortes de forêts ? Les sons anthropiques, produits par des activités humaines, induisent-ils des modifications de comportement de la faune ? Quels impacts de l’évolution météorologique ou climatique sur la dimension phonique des écosystèmes ? C’est le type de questions que peut explorer le suivi acoustique.

« Décrire les paysages sonores »

Sonosylva se déroule dans 103 forêts protégées, en France hexagonale et en Corse, avec un enregistreur par forêt. Les sites se trouvent en parc national, en zone Natura 2000 ou en espace naturel sensible de parc naturel régional, et autre réserve biologique intégrale. Sonosylva intègre des forêts feuillues ou résineuses, mélangées ou « pures » (hêtraies, chênaies, parcelles de pin maritime…), forêt de montagne et de plaine, ou littorale, méditerranéenne.

D’une durée de trois ans, avec un budget de 520 000 euros, Sonosylva a mené une première campagne d’enregistrements, entre mars et septembre 2024, et deux autres doivent suivre, en 2025 et 2026, avant que ne soit envisagée une surveillance pérenne. Chaque appareil enregistre l’environnement sonore durant une minute toutes les 15 minutes, un jour sur deux.

Jérôme Sueur, enseignant-chercheur en écoacoustique au MNHN et partie prenante de Sonosylva, présente :

« Nous enregistrons les sons des animaux, le vent dans les arbres, le ruissellement de la pluie, aussi bien que les avions ou les voitures, en vue de décrire les paysages sonores. »

Il pourrait en ressortir un indice écoacoustique, évaluant la complexité sonore. D’autres mesures sont possibles, ajoute Jérôme Sueur, comme de « décomposer les sons, pour savoir quelle est la part liée aux activités humaines ou aux animaux, avec une possibilité d’évolution pour aller chercher des espèces en particulier ».

Dans les forêts protégées, l’exploitation du bois n’est pas nécessairement absente. Néanmoins, à ce stade, explique Nicolas Hette-Tronquart, de l’OFB :

« Sur la durée des enregistrements, nous avons demandé à ce qu’il n’y ait pas de coupe, car cela changerait le milieu et nous ne nous trouverions plus avec la même communauté. Or, nous souhaitons pouvoir dire qu’à tel type de forêt, méditerranéenne ou de plaine, ou à telle altitude, correspond telle diversité sonore, en vue d’établir un premier référentiel national de la diversité sonore des forêts françaises. »

De l’audible à l’inaudible

En regard, le suivi acoustique du programme Forestt a lieu dans des forêts gérées. Il s’étale sur sept ans, de 2024 à 2030, pour un budget d’environ 700 000 euros. Et si Sonosylva capte uniquement le champ audible, le PEPR y ajoute les ultrasons, afin de rendre compte de la présence des chauves-souris ou de certaines sauterelles.

Kevins Darras, chercheur en écologie des écosystèmes forestiers à l’Inrae, présente :

« Nous allons installer, en 2025, une centaine d’enregistreurs, un par placette, avec le même protocole que celui du MNHN. Ils ne seront pas accrochés aux arbres, mais posés sur des piquets où, dans un rayon de 2 mètres, il n’y a pas de végétation susceptible d’interférer avec la prise de son. »

Les microphones ont vocation à se positionner dans les 102 sites du réseau national de suivi des écosystèmes forestiers (Renecofor) de l’Office national des forêts (ONF). À terme, la Guyane pourrait aussi s’intégrer dans le programme.

Pour les ultrasons, poursuit Kevin Darras, « nous envisageons, en plus, une captation toute la nuit en continu, afin que ce soit compatible avec Vigie-Chiro », un dispositif de sciences participatives porté par le MNHN et l’OFB et dont les enregistrements se déroulent une nuit entière, deux fois par an.

Chauves-souris, grands tétras, mis sur écoute à l’ONF
L’ONF participe à Vigie-Chiro depuis 2022. Comme l’explique Laurent Tillon, chargé de mission biodiversité à l’Office : « Nous avons structuré un échantillonnage avec le Muséum, afin d’avoir un comparatif entre des sites avec et sans exploitation forestière et ce, dans une cinquantaine de forêts à travers la France. » De quoi écouter les cris inaudibles de chauves-souris ou de sauterelles forestières.
De plus, poursuit l’expert, « nous pensons que, pour certaines espèces, il y a la possibilité d’un suivi des individus, par identification automatique, en fonction du timbre de voix propre à chacun ». Dans cette optique, une thésarde, Sylvaine Lavandier, s’intéresse au grand tétras dans les Pyrénées.

L’intelligence artificielle dans l’analyse des données

Ensuite, comment récupérer les données ? Dans Sonosylva, comme dans Forestt, les chercheurs comptent sur les gestionnaires des sites pour aller reprendre, en fin de saison, les capteurs de sons. « Ils vont nous les envoyer par la poste », détaille Kevin Darras.

Des outils d’analyse, notamment par intelligence artificielle, sont susceptibles d’aider à tirer parti de la masse de données attendues. Par exemple, il existe l’application en données ouvertes (open source) BirdNet, pour la reconnaissance automatique des chants et cris des oiseaux.

Ces programmes de recherche visent à déployer, à large échelle, un nouveau type de suivi, avec une systématisation plus robuste que ne le font les sciences participatives. L’OFB espère ainsi compléter son inventaire du patrimoine naturel et aussi proposer une nouvelle approche de sensibilisation à la biodiversité terrestre. Le MNHN pourrait, quant à lui, enrichir sa sonothèque. Forestt n’exclut pas d’établir, in fine, des recommandations à l’attention des gestionnaires de forêts. Des questions restent à explorer, comme les possibilités de mutualiser les données des différents projets.

Chrystelle Carroy/Forestopic

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