Selon le botaniste Francis Hallé, ce n’est ni le rythme de croissance, ni la hauteur des arbres qui singularisent la forêt tropicale humide, par rapport aux forêts européennes.
Quelle différence entre les forêts d’Europe et celles des zones équatoriales ou tropicales humides ? Le botaniste Francis Hallé a traité de cette question, lors d’une conférence sur la forêt, organisée à Paris le 11 mars 2019, par la mairie de Paris et Reforest’Action.
Les arbres de la forêt tropicale poussent-ils plus vite que les autres ? Non, assure Francis Hallé. Comptent-ils parmi les plus grands au monde ? Non plus. Les géants planétaires se trouvent en Californie et dans le sud de l’Australie, signale-t-il.
Biodiversité et contraintes physiques
Alors, qu’est-ce qui distingue de tels milieux forestiers ? Réponse de celui qui a piloté la création du radeau des cimes, cette plateforme scientifique, suspendue dans les airs, permettant aux chercheurs d’étudier la canopée :
« Le niveau de biodiversité est différent, d’un facteur 100 en moyenne. »
Autrement dit, il y a cent fois plus d’espèces vivantes dans les forêts des régions tropicales humides que dans celles de l’Europe. Francis Hallé avance une première explication :
« Cela dépend de la nature des contraintes. »
Et de mentionner les saisons, l’été avec la sécheresse, voire les incendies, susceptibles de survenir dans les forêts européennes, ainsi que l’hiver, avec sa charge de neige ou de gel.
« Il s’agit de facteurs physiques, et non biologiques. Plus ces contraintes augmentent et plus la biodiversité diminue »,
En regard, les régions équatoriales ne connaissent pas l’hiver thermique. Et « la pluviométrie y est tellement forte, qu’il n’est pas question que la forêt brûle ».
Biodiversité et contraintes biologiques
Un phénomène foisonne dans les forêts équatoriales, en revanche :
« Les contraintes biologiques, c’est-à-dire l’effet des espèces vivantes les unes sur les autres. Et plus ces contraintes sont fortes et plus il y a de biodiversité. Cette coévolution entre les plantes et les animaux, nous en trouvons des exemples en Europe, mais à une échelle plus modeste »,
La biodiversité ne s’avère pas équitablement répartie au sein de la forêt tropicale, nuance-t-il, entre le sous-bois, sombre et moins riche en diversité biologique, et le sommet de la forêt, qui reçoit la lumière directe du soleil, avec une « zoologie de la canopée astronomique ».
Créer une forêt primaire en Europe ?
Francis Hallé annonce être partie prenante d’un projet de création de forêt vierge en Europe de l’Ouest. Sur le terrain, cette initiative consisterait à « ne rien faire », souligne-t-il. Une idée déjà avancée par d’autres. Selon Meriem Fournier d’AgroParisTech et Bruno Moulia de l’INRA, « une forêt primaire est une forêt dans laquelle l’impact de l’homme n’est pas visible, ce qui va être très difficile à obtenir même dans 100 ans dans nos réserves biologiques intégrales », écrivent-il dans un article de Forêt.Nature n° 149, paru fin 2018, en réponse au forestier allemand Peter Wohlleben.
« Une diversité de forestiers »
De la salle, Hervé Le Bouler, responsable forêts de France Nature Environnement (FNE), a voulu tempérer les propos :
« Dans les forêts françaises, il y a une belle diversité de forestiers qui, humainement, rattrapent un peu cette moindre biodiversité. »
À l’heure où la France mène sa stratégie contre la déforestation importée, Francis Hallé s’émeut, par ailleurs, de la disparition de forêts tropicales dans le monde – une autre singularité par rapport au continent européen.
C. C./Forestopic