La forêt méditerranéenne est un réservoir de biodiversité. Peut-elle aussi devenir un vivier de développement économique ? Une récente monographie apporte des éléments de réponses.
Réservoir de biodiversité, prisée pour les loisirs (promenade, randonnée, observation de la nature) voire le sylvo-pastoralisme, la forêt méditerranéenne française pourrait-elle voir son rôle économique renforcé ?
Jean Bonnier, président de l’Association forêt méditerranéenne, l’assure :
« La forêt méditerranéenne est en train de se réveiller. »
Elle part de loin. Aux yeux d’Olivier Picard, directeur recherche et développement à l’Institut pour le développement forestier (IDF) :
« La forêt méditerranéenne n’est pas réputée produire du bois de grande valeur. »
Une diversité d’essences, « des bois de qualité »
En dépit de sols pauvres, bien que soumise à des stress hydriques, sujette au risque incendie, elle regorge d’une diversité d’essences. Elle s’étale sur 4,5 millions d’hectares répartis sur 18 départements et quatre régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse). Jean Bonnier cite le chêne pubescent et le chêne vert, le pin d’Alep, le pin sylvestre, « un arbre pionnier qui pousse dans les mauvais sols », le pin noir dont « les plus belles futaies de France se trouvent en Corse », ou encore le châtaignier et le caroubier.
« En bois d’œuvre, ces arbres sont capables de fournir des éléments de grande qualité, pouvant rivaliser avec des forêts plus septentrionales, sans compter le chêne liège qui peut alimenter des activités de niche, pour les bouchons ou des pièces mécaniques, des joints »,
650 entreprises, 41 chartes
La forêt méditerranéenne française, avec ses 18 départements, compte 650 entreprises d’exploitation forestière et scieries, soit 2 360 emplois. Le bois énergie représente 614 200 tonnes utilisées par 1 643 chaufferies. Sur le territoire, 41 chartes forestières couvrent un peu plus de 2 millions d’hectares, soit près de la moitié des surfaces forestières. Celles-ci s’avèrent en proportion plus difficiles à exploiter qu’ailleurs, en particulier dans les zones de montagne.
Source : Léa Veuillen, étudiante AgroParisTech-Nancy, août 2016.
Un tiers de l’accroissement naturel méditerranéen est récolté, au sein de forêts à 70 % privées (à 80 % en Corse). Pour développer de nouveaux débouchés, la filière doit d’abord se structurer dans son amont. C’est l’un des constats établis par Regards croisés sur la forêt méditerranéenne. Ce récent rapport, piloté par l’« Initiative forêt méditerranéenne », dresse les enjeux de la forêt méditerranéenne, à la fois économiques, sociaux et écologiques.
Valoriser le pin d’Alep et le châtaignier
Faire pousser du bois d’œuvre en Méditerranée se heurte au scepticisme, selon l’étude, notamment chez des scieurs. De l’extérieur, d’aucuns y perçoivent les pins « biscornus » du littoral, à l’instar de Florian Portier, de Bois des Alpes. Cette association de certification n’en suscite pas moins des vocations. D’où la création en projet d’un label Bois de Corse. Ici comme ailleurs, l’utilisation du bois local en construction implique d’accompagner et de sensibiliser les architectes ou les élus locaux. Le scieur André Jauffret propose que les appels d’offres circonscrivent l’approvisionnement dans un rayon de 100 km. Et, lit-on dans la monographie Regards croisés :
« Même si les ébénistes utilisent encore ces essences locales pour faire de beaux produits, les habitants doivent être particulièrement connaisseurs pour demander à reconstruire leur maison en pin d’Alep plutôt qu’en sapin. »
Pour la valorisation du pin d’Alep, des réflexions sont engagées depuis quelques années, notamment au sein du syndicat de propriétaires forestiers Fransylva-PACA. De plus, une démarche de certification a été initiée, concernant les propriétés mécaniques du bois de pin d’Alep.
Face au dépérissement du châtaignier, des travaux en cours visent à en valoriser le tanin. L’INRA et l’Ademe ont lancé un programme de recherche « pour créer à moyen terme des matériaux composites et régénérer la châtaigneraie », précise Regards croisés.
Bois énergie : grandes centrales et petites chaufferies
Quant au bois énergie, la forêt méditerranéenne apparaît comme un potentiel sous-exploité pour les uns et déjà en tension pour les autres. Les grandes centrales de biomasse doivent cohabiter avec les petites chaufferies.
À Brignoles (Var), l’installation d’Inova est destinée à capter 185 000 tonnes de bois par an. La centrale d’Uniper à Gardanne (unité « Provence 4 Biomasse ») prévoit de consommer 855 000 tonnes par an, dont 55 % importées (notamment du Brésil) au démarrage. Ces plaquettes forestières doivent se compléter de ressources locales, issues d’un rayon de 250 km, et composées à 40 % de bois forestiers, contre 60 % de broyats d’élagage, d’entretien et de recyclage.
À terme, Uniper s’oriente vers un approvisionnement « 100 % local » d’ici à 2026. L’énergéticien a donc tout intérêt à réussir son insertion territoriale. Il a d’ailleurs financé l’étude Regards croisés. Ce rapport se fait l’écho de l’engagement d’Inova et d’Uniper à s’approvisionner dans des conditions de prix contractuelles, censées assurer une stabilité du marché.
C’est aussi dans ce contexte que la Corse s’est fixé l’objectif d’atteindre l’autonomie énergétique à l’horizon 2050.
Des services écologiques et sociaux… rémunérateurs ?
Parmi les 18 pistes d’actions proposées par l’étude Regards croisés, plusieurs d’entre elles mettent en avant la forêt multifonctionnelle. Les services écologiques ou touristiques rendus par la forêt et, à travers elle, par les propriétaires forestiers publics et privés, pourraient-ils faire l’objet de rémunération ? L’idée d’une « taxe analogue à celle du pollueur‐payeur » est avancée. La responsabilité civile du propriétaire forestier en cas d’accident d’un promeneur dans sa forêt reste un sujet d’inquiétude en attente de solution. D’autres pistes consistent en l’inévitable effort d’adaptation au changement climatique, la professionnalisation des propriétaires forestiers, la recherche sur les essences locales, ou le développement des chartes forestières comme outil d’aménagement.
Les collectivités locales pourraient jouer un rôle moteur. Jean Bonnier, de l’Association forêt méditerranéenne, plaide pour la création d’une structure dédiée à la forêt méditerranéenne, qui rassemblerait quatre conseils régionaux. Avec une telle force de frappe, ces forêts n’auraient plus d’excuse pour ne pas se réveiller.
Chrystelle Carroy/Forestopic
Sur le même sujet :
• Le pin d’Alep entre dans la norme et renoue avec la construction bois
• L’étude d’impact de la centrale à biomasse de Gardanne remise en cause par le Conseil d’État
* L’« Initiative forêt méditerranéenne » rassemble l’Association forêt méditerranéenne, des communes forestières, la région la direction régionale DRAAF d’Occitanie, ainsi que des centres régionaux de la propriété forestière, Fransylva, l’Office national des forêts-Méditerranée, le réseau RMT Aforce.