Dans les forêts lors des chantiers de coupe, dans les rayons de la grande distribution, dans les clauses des marchés publics, le bois doit se frayer un chemin vis-à-vis du public ou du maître d’ouvrage. Des solutions émergent.
C’est un constat qui reste d’actualité. Si le bois a les faveurs de l’opinion, bien qu’il soit en compétition avec d’autres matériaux, la gestion forestière qui permet de le produire continue de se heurter à l’incompréhension du public. De la coupe en forêt à la compétitivité du bois sur les marchés, le 11e congrès Aprovalbois, organisé fin novembre 2017 à Dijon, est revenu sur ces enjeux.
« Sortir du langage technique »
Lors de la récolte du bois, comment s’adresser au grand public ? Benoît Bisaillon, directeur général de la coopérative forestière des Hautes-Laurentides (Québec, Canada), invite à la vulgarisation :
« Les consultations menées par l’État sont trop ponctuelles, théoriques. »
Frédéric Kowalski, directeur territorial de l’Office national des forêts (ONF) en Bourgogne-Franche-Comté, renchérit :
« Il faut sortir du langage technique. »
Et de pointer des documents où il est question de « futaie régulière » et de « peuplement équien ».
De nouvelles approches du paysage forestier
Meriem Fournier, directrice d’AgroParistech-Nancy, complète :
« Ne fermons pas les yeux sur le fait qu’un chantier d’exploitation forestière perturbe le paysage. »
La même préoccupation se retrouve dans les Hautes-Laurentides, comme le décrit Benoît Bisaillon :
« Au lieu des faire des interventions sur 2-3 ans, il nous faut les étaler sur une dizaine d’années, faire des coupes en mosaïque, des coupes de génération, mettre un peu d’eau dans notre vin et dans notre sirop d’érable. »
Une autre solution ? « Se projeter, avec les gens, dans l’idée que le paysage n’est pas immuable », propose Meriem Fournier.
L’appropriation du sujet forestier commence par les forestiers eux-mêmes. C’est l’objet de Forêt Sphère. Basée à Paris, l’association propose, aux moins de 40 ans, des réunions et des formations aux horaires adaptés (le soir), ainsi que des sessions en forêt le week-end. « Nous aimerions ne pas rester trop parisiens et que des antennes se créent en régions », précise Victoire Reneaume, présidente de Forêt Sphère.
L’engouement pour la forêt, une future source de revenus ?
Le lien entre la forêt et le bois demeure « une grande inconnue » dans l’esprit du public, relève Frédéric Kowalski, de l’ONF. La forêt reste associée à un espace de nature à préserver pour les générations futures, réservoir de biodiversité, très loin devant la production de bois et toute activité économique, selon la dernière enquête forêt-société de l’ONF et de l’université de Caen Normandie, qui date de 2015. Cela peut rappeler le cas d’enfants qui ignorent que le poisson pané est censé contenir du poisson.
La forêt anthropisée, gérée, semble satisfaire le public. Frédéric Kowalski en retient un message :
« Le public nous dit, si vous préservez la forêt, continuez de la gérer, de récolter du bois. Mais, soyez d’abord vigilant sur la protection et la préservation. »
Cela pourrait ouvrir à de nouvelles formes de services. Meriem Fournier suggère :
« La gestion forestière a un coût. Comment faire payer pour l’accueil du public en forêt ? Les gens sont prêts à payer pour la santé. La sylvothérapie n’est pas que l’irrationnel, il y a aussi des arguments scientifiques. Cela va des molécules, des huiles essentielles, à l’ambiance forestière et sa lumière tamisée qui ont un effet apaisant. »
« La maison est ouverte à des matériaux plus naturels »
Pour autant, le bois a bien sa place dans le cœur des consommateurs. Christophe Gazel, directeur général de l’Institut de prospective et d’études de l’ameublement (IPEA), ne dit pas autre chose :
« C’est une vague structurelle, une tendance de fond. Les Français ont besoin d’une ambiance bois. Mais, est-ce que ce sera du vrai bois ou de l’aspect bois ? Il y a une grande concurrence des industriels sur les effets de matière, par exemple avec les carrelages imitant le bois, les revêtements de sols en plastique ou les stratifiés qui contiennent des produits hors bois massif. C’est une question de prix et de facilité d’usage. D’où la nécessité d’expliquer le produit. La maison est ouverte à des matériaux plus naturels. »
À la recherche des singularités du bois
Le bois fait recette. Au point que des revêtements viennent imiter ses nœuds. Ce que « le consommateur aime bien, car cela crée des singularités », selon Christophe Gazel – venant contredire en apparence une récente enquête sur la perception du parquet. Une raison de plus pour faire connaître les particularités du matériau ligneux.
Cette recherche d’un produit unique se retrouve dans « l’industrialisation du sur mesure », voulue par Mobibam. La jeune entreprise propose des meubles en panneaux de particules Egger en bois issu de forêts françaises et made in France. Sur son site Web, un configurateur propose à l’utilisateur final de concevoir lui-même son ameublement. « Entre la conception par le client, le clic sur “commander” et la fabrication en usine, il n’y a aucune intervention humaine », détaille Paul Normier, dirigeant de Mobibam. Lancée en juillet 2016, la société a vendu plus de 600 meubles en un peu plus d’un an.
« L’origine du bois, personne ne l’explique au consommateur »
L’argument du bois local peut trouver un écho parmi le grand public, dans certains cas, selon Christophe Gazel :
« L’origine du bois, le consommateur s’en fiche, car personne ne le lui explique. Nous avons réalisé une étude avec des communes forestières, il y a quelques années ; le consommateur est intéressé par le hêtre des Pyrénées s’il se trouve dans les Pyrénées. Ce qui touche le plus le public régional, dans son processus d’achat, c’est de maintenir une activité économique en montagne, même si les prix sont 20 % plus élevés. Si le consommateur est à Lille, le hêtre des Pyrénées, il s’en fiche. Il y a un discours à construire pour lui expliquer les choses. »
Marchés publics : « Choisir une essence française »
L’origine du bois se pose aussi dans le cadre des marchés publics. Cosylva a fait appel à Biom, agence de notation située dans les Pays-de-la-Loire et qui a créé un indicateur sur l’impact économique et environnemental des entreprises. Selon cet indicateur, appliqué à une charpente d’un coût de 100 000 euros, 34 000 euros sont reversés en France avec du bois importé contre 88 000 euros avec du bois français, « à mettre en relation avec un écart de quelques pourcents sur le prix d’achat de la charpente », selon Julien Bouthillon, président de Cosylva, fabricant de bois collé basé à Bourganeuf (Nouvelle-Aquitaine). Il poursuit :
« Dans le cas du lamellé-collé, si on veut privilégier du bois français, il suffit de choisir une essence française. Dans les cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) que nous recevons, dans 90 % des cas, l’essence sélectionnée est l’épicéa, voire il est mentionné du bois d’importation noir sur blanc. Opter pour le douglas, par exemple, c’est s’assurer à 90 % que la provenance du bois et la fabrication se situent en France. »
Pour un maître d’ouvrage public, les critères pris en compte mettent en regard « la qualité du bois et sa provenance, et son prix », selon Philippe Hermet, directeur de la stratégie à Epamarne, aménageur en Île-de-France qui s’est fixé l’objectif d’un tiers de logements en bois. Et de nuancer :
« L’utilisation massive de la maquette numérique ou BIM confère au bois des niveaux de prix comparables aux autres procédés de construction. »
Quant à l’organisateur du colloque, l’interprofession régionale Fibois Bourgogne-Franche-Comté, présidée par Jean-Philippe Bazot, signe sa nouvelle identité, issue de la fusion, en juin 2017, d’Aprovalbois (ex-Bourgogne) et d’ADIB (ex-Franche-Comté)
Chrystelle Carroy/Forestopic