Peu utilisé en forêt, le glyphosate fait néanmoins l’objet d’attentes sociétales, voire politiques. Des forestiers prennent les devants. Des travaux en cours s’acheminent vers des forêts « zéro glyphosate ».
Les membres de PEFC France soutiendront l’interdiction du glyphosate dans le cadre de la prochaine révision des standards nationaux PEFC de certification de gestion durable des forêts. L’assemblée générale de PEFC France a adopté cette mesure, le 12 juin 2019. Par ailleurs, Experts forestiers de France (EFF) a fait sienne une résolution recommandant à ses adhérents « de se passer définitivement de cette molécule controversée », lors de son assemblée générale qui s’est tenue du 15 au 18 mai 2019 à Strasbourg.
Le choix de l’abandon du glyphosate a fait l’unanimité chez EFF, tandis qu’il s’appuie sur « une grande majorité » chez PEFC France.
Vers un schéma PEFC zéro glyphosate
L’association de certification anticipe le renouvellement de son schéma de gestion forestière, alors que le standard en vigueur porte sur la période 2017-2022. La motion anti-glyphosate signifie que PEFC France s’assure de l’existence d’un consensus de principe et que l’organisation inscrira cet enjeu au menu de son forum, instance de discussion qui doit lancer ses travaux au second semestre 2020, en vue de la révision du dispositif.
Pourquoi le glyphosate et pas d’autres produits phytosanitaires ? Paul-Emmanuel HUET, directeur exécutif de PEFC France, répond :
« Le glyphosate est une substance active qui fait l’objet d’enjeux associés, de discussions, à l’échelle de la sphère politique ou autre. »
Allusion faite à la sortie du glyphosate, promise par le président de la République Emmanuel Macron d’ici à 2021 pour les principaux usages, mais que les députés ont refusé d’inscrire dans la loi. Si le débat sociétal concerne d’abord l’agriculture, il touche aussi la forêt.
Sur le sujet, le Centre national de la propriété forestière (CNPF) s’en tient à la réglementation en vigueur. La fédération de syndicats de propriétaires forestiers privés Fransylva « n’a pas d’avis à donner spécifiquement sur le glyphosate » et s’aligne sur le cahier des charges de PEFC en matière de traitements phytosanitaires. Du côté de l’union des coopératives forestières UCFF, son secrétaire général Julien Bluteau déclare que « l’UCFF suivra la majorité quant à ce qui est décidé à PEFC ».
Le dossier du glyphosate en Nouvelle-Aquitaine est clos
PEFC a été saisi, en 2018, sur un usage de glyphosate en forêt. L’association ne proscrit pas les produits phytosanitaires, mais restreint leur utilisation. Paul-Emmanuel Huet revient aujourd’hui sur l’affaire :
« Il y a eu une plainte. Des investigations ont été faites au regard des éléments qui nous ont été transmis par les plaignants, ainsi que de remontées d’informations et d’échanges avec les responsables. L’entité régionale qui a été saisie, PEFC Nouvelle-Aquitaine, n’a pas disposé d’éléments suffisamment factuels dans l’espace-temps requis, pour décider d’une radiation – le délai de traitement étant à la discrétion de la structure qui instruit la plainte. Le plaignant n’ayant pas fait appel, la plainte est classée. »
Stéphane Vieban, directeur général de la coopérative forestière Alliance Forêts Bois, implantée notamment en Nouvelle-Aquitaine, commente :
« PEFC Nouvelle-Aquitaine a fait son travail et mené son enquête auprès des personnes concernées. Nous avons répondu aux questions qui nous ont été posées et avons démontré que les traitements respectent la réglementation et le cahier des charges de PEFC. »
Le glyphosate, un usage marginal en forêt
• En octobre 2018, l’Office national des forêts (ONF) annonçait l’arrêt de l’utilisation du glyphosate dans les forêts publiques et une destruction de ses stocks de produits « conformément aux procédures d’élimination des déchets dangereux ». En parallèle, l’usage de phytopharmaceutiques s’avère interdit aux personnes publiques (sauf produits de biocontrôle). Selon l’Office, les traitements phytopharmaceutiques concernent 0,02 % par an des surfaces forestières publiques.
• Au sein des forêts privées, 80 % des experts déclarent ne pas avoir eu recours aux herbicides ces trois dernières années, d’après une enquête de la fédération EFF. Et parmi ceux qui ont utilisé ces produits, 20 % indiquent avoir appliqué du glyphosate. Il s’agit d’usages « marginaux et en fort déclin », selon EFF.
• Le CNPF complète : « L’usage de produits phytosanitaires en forêt est très limité, seulement en cas de blocage lors de renouvellement d’un peuplement. Les traitements herbicides en forêt étaient 450 fois moins fréquents qu’en grande culture en 2012. Les applications sont actuellement autorisées localement sur les premières années d’une plantation, par des entreprises agréées ayant le Certiphyto. »
• Stéphane Vieban, d’Alliance Forêts Bois, donne l’exemple des plantations de peuplier : un traitement classique au désherbant porte sur 1 m2 par plançon de peuplier, soit 200 m2 par hectare (200 m2 sur 10 000), une fois tous les 15 ans. Pour le pin, du temps où il existait désherbant sélectif homologué, l’application avait lieu une fois tous les 40 ans. Aussi, déclare Stéphane Vieban, « c’est epsilon. La bataille, il faut la remporter dans les deux premières années, le temps que le plant se développe. Une fois qu’il se trouve au-dessus de la végétation adventice, c’est gagné. »
• En Nouvelle-Aquitaine, le pin maritime pousse sur un sol à texture sableuse. Éric Dumontet, secrétaire général du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (SSSO), explique : « Notre travail de base est mécanique et non chimique. Pour lutter contre la végétation concurrente dans le massif des Landes de Gascogne, nous avons recours au débroussaillement, au labour, avec le rouleau landais. » Le SSSO plaide pour que le rôle environnemental de la sylviculture soit mieux reconnu (plutôt que pour un label bio).
« Que l’on nous laisse le temps de trouver des solutions »
Du côté des industriels de la chimie, Bayer vient d’annoncer un investissement de 5 milliards d’euros sur 10 ans, consacré à « de nouvelles méthodes de lutte contre les mauvaises herbes ». Le groupe allemand a engagé l’acquisition de Monsanto et se prépare à une procédure européenne de réenregistrement du glyphosate, commercialisé sous le nom de Roundup, un herbicide non sélectif.
Dans une perspective où la réglementation pourrait évoluer, les professionnels de la forêt se préparent à l’après-glyphosate. Stéphane Vieban approuve la démarche de PEFC France, mais se veut pragmatique :
« N’entretenons pas des raisonnements ex-nihilo en apesanteur. Je souhaite que le futur schéma de PEFC ne tienne pas une position dogmatique et qu’il s’achemine vers un zéro glyphosate. Moins nous utilisons de glyphosate et mieux nous nous portons. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas d’alternative technique. Que l’on nous laisse le temps de trouver des solutions. »
D’ici là, le travail manuel pourrait-il prendre la relève ?
« Si c’est pour envoyer des entrepreneurs de travaux forestiers débroussailler à la main des champs de ronce en plein été, nous ne sommes pas d’accord, pour des raisons sociales, de faisabilité (nous ne trouverons pas les hommes) et de coût. Nous ne voulons pas de recul en matière de pénibilité du travail »,
Alliance Forêts Bois a reboisé 17 000 hectares en 2018.
La mécanique ou « rien du tout » pour remplacer la chimie
En substitut à la chimie, Experts forestiers de France préconise le passage aux travaux mécaniques là où c’est possible, par exemple en griffant la ronce dans les forêts en régénération naturelle, en particulier les chesnaies. Et sinon « rien », c’est-à-dire une non-intervention. Outre le traitement mécanique, le CNPF fait part de travaux en cours sur le paillage ou sur la préparation du sol.
Par ailleurs, Evrard de Turckheim, président de Pro Silva France, association faisant la promotion d’une sylviculture dite irrégulière et « proche de la nature », indique :
« Je pense pouvoir dire que chez les adeptes de Pro Silva, l’usage du glyphosate est depuis longtemps totalement absent. »
Pro Silva ne préconise « rien du tout » en substitution de produits chimiques, ajoute Jacques Hazera, son vice-président. Ni le travail du sol, ni l’« hyper-mécanisation », ni le labour qui est « un non sens en matière d’humus, de carbone », aux yeux d’Evrard de Turckheim.
« Nous pensons que les déséquilibres se réparent généralement de façon naturelle, petit à petit. Notre rôle de forestier est d’accompagner les processus naturels en essayant tout simplement de bien choisir les arbres afin de produire du beau bois »,
De la R&D contre la végétation concurrente
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Dans les plantations forestières
Alliance Forêts Bois fait de la préparation du sol et de l’entretien un enjeu de recherche et développement (R&D). La coopérative forestière y a consacré 700 000 euros en 2018. La même année, Alliance Forêts Bois a acquis le fabricant de matériel sylvicole Landaise Bordeaux Industrie (ainsi que d’autres entités). « Avec cette nouvelle filiale, nous travaillons pour trouver de nouveaux moyens mécaniques d’entretien, notamment pour l’après-glyphosate », indique Stéphane Vieban.
Dans les plantations forestières, illustre-t-il, « entre les lignes, le débroussailleur peut passer à quelques centimètres des plants, l’enjeu d’innovation n’est pas là. Mais sur la ligne, au plus proche des plants, comment le débroussailleur va-t-il différencier un jeune plant de graminées ? »
De nouvelles méthodes de préparation mécanisée du sol se développent par ailleurs pour les plantations forestières. Le projet Capsol* a notamment évalué leur impact sur le stock de carbone dans le sol et sur la croissance des arbres. Ce projet, terminé en juin 2019 et conduit avec des financements de l’Ademe, s’est intéressé à l’utilisation d’outils montés sur mini-pelle, tels que scarificateur réversible ou sous-soleur multifonction. Capsol conclut à une diminution du stock de carbone mais de manière localisée, non visible à l’échelle de la parcelle entière.
Dans une perspective « zéro glyphosate », Catherine Collet, chargée de recherche à l’INRA, précise :
« Le scarificateur est efficace pour contrôler la végétation (fougère, myrtille…), le sous-soleur multifonction l’est beaucoup moins (c’est plutôt un outil pour améliorer le sol). »
D’autres outils sont susceptibles de se substituer aux herbicides pour différents types de végétation. « Mais, à l’heure actuelle, ils sont plus coûteux que les méthodes utilisant les herbicides », poursuit la scientifique.
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Dans les forêts en régénération naturelle
« Nous sommes en train de tester certaines de ces méthodes dans le contexte de la régénération naturelle. Les contraintes subies par les semis naturels sont similaires à celles subies par les plants, les méthodes devraient donc fonctionner. Néanmoins, les modalités de mise en œuvre de ces méthodes seront assez différentes et doivent donc être établies pour la régénération naturelle »,
Plus maniables que les outils tractés, les appareils sur mini-pelle, ainsi que les robots broyeurs radioguidés, paraissent adaptés à la régénération naturelle.
Chrystelle Carroy/Forestopic
* Le projet Capsol ou « dynamique du carbone et de la croissance après préparation du sol dans les plantations forestières » implique l’INRA, l’ONF, l’université de Rouen, INRA et FCBA.