L’industrie 4.0 avance au sein la filière bois, dans les scieries ou chez les fabricants de meubles ou de construction bois. Apportant, avec elle, des promesses de productivité et de flexibilité accrues.
L’industrie 4.0, la prochaine révolution industrielle pour la filière bois ? Elle renferme des promesses de machines connectées qui « communiquent » entre elles, de productivité et de flexibilité accrues, de meilleurs rendements qui limitent la perte de matière et d’optimisation des machines grâce à la maintenance prédictive.
Les scieries comme les spécialistes de la construction bois ont rendez-vous avec l’industrie 4.0. Cela vaut aussi pour les papetiers ; en témoigne Paul-Antoine Lacour, délégué général de la fédération Copacel :
« Nous avons l’habitude de l’automatisation et de la collecte des données. Nous pourrons aller plus loin, dès que nous aurons identifié les bonnes technologies pour gagner des points de marge. »
L’industrie 4.0, automatisation toute
C’est une lame de fond appelée à toucher tous les secteurs de production. Aussi désignée par les expressions « industrie du futur » ou « quatrième révolution industrielle », l’industrie 4.0 manifeste une nouvelle étape dans la transformation numérique des usines. Elle fait interagir l’automatisation, la robotique, l’internet des objets (IoT, de l’anglais Internet of things), les mégadonnées (big data) ou l’intelligence artificielle. Le laboratoire d’idées La Fabrique de l’industrie la définit ainsi, dans une note de synthèse : « L’usine du futur sera plus agile et flexible, moins coûteuse et plus respectueuse de ses travailleurs et de l’environnement, grâce à un fort niveau d’automatisation et une intégration numérique de l’ensemble de la chaîne de production. »
Des machines pour le bois de plus en plus connectées
Une réalité qui est à l’œuvre dans les scieries, affirme Nicolas Douzain, délégué général de la Fédération nationale du bois (FNB) :
« Quasiment toutes les scieries équipées d’un canter sont déjà au cœur de la scierie 4.0, c’est-à-dire celles d’une certaines tailles. Le fabricant de matériel collecte des données dans les process, en vue de fiabiliser ses équipements. »
L’allemand Linck, par exemple, réalise des lignes de production automatisées, pour les résineux en particulier. Avec, à la clé, de la programmation et des algorithmes, reliés aux canters pour optimiser le traitement billons.
Les constructeurs de matériel s’y mettent, observe Olivier Dario, délégué général du Symop, syndicat français des machines et technologies de production :
« La filière bois a montré au salon Eurobois 2018* qu’elle est dynamique et que des offres se développent pour la connectivité des machines, ou que les entreprises y réfléchissent. Mais, le digital en soi n’a aucune valeur. Il doit s’accompagner de l’analyse des données et d’actions en réponse. Dans l’industrie du futur, machines et services se confondent. Comprendre l’utilisation qui est faite de la machine permet de vendre de la performance, du résultat, par exemple des m3 taillés. Peut-être que, de plus en plus, les machines ne seront plus vendues, mais louées. »
Une scierie avec toutes ses machines connectées entre elles
Miser sur les services, c’est ce que fait Forézienne, fournisseur d’outils pour la première et deuxième transformations du bois, situé en Auvergne-Rhône-Alpes.
Finega va jusqu’à la numérisation et l’automatisation complètes des scieries, avec des machines connectées entre elles, et pas seulement un outil isolément. Michel Loyet, président de cette PME basée en Isère (Auvergne-Rhône-Alpes), en décrit les principes de production :
« La scierie 4.0 permet de programmer un process et des variantes. Elle fonctionne sans intervention humaine. Plusieurs commandes peuvent être lancées en même temps pour plusieurs types de produits, avec chacun leur prix de vente et leur ordre de priorité. Des milliers de combinaisons sont possibles. »
À terme, détecter les nœuds du bois
Une kyrielle de paramètres et leur suivi entrent en compte. Ce sont, par exemple, le volume, le nombre et la forme des grumes passées au scanner rotatif 3D. Ces données servent notamment à déterminer quel est le meilleur axe de sciage, et donc le meilleur rendement. Une table robotisée positionne ensuite la grume dans la machine. À terme, le système devrait pouvoir détecter les nœuds du bois. Ce sont aussi des statistiques sur les lots de bois, les flux, l’énergie consommée, le niveau d’usure des outils ou le suivi des incidents.
Autant d’informations envoyées dans le cloud, soit des serveurs informatiques distants. Pour les traiter, Finega dispose de son propre centre de données et de sa plateforme numérique Osia. Avec la possibilité d’agir sur le process. Exemple : « Si les arbres d’une commande arrivent sur site, tandis que d’autres sont en retard, le responsable de scierie reçoit une alerte et peut prendre une décision », illustre Michel Loyet.
5 000 données à la minute
La plateforme Osia enregistre pas moins de 5 000 données à la minute. Les populations de grumes peuvent faire l’objet de simulations. Une caméra filme les lignes de production et, synchronisée avec les données, elle délivre une analyse a posteriori, en cas de perte de productivité. Finega entend investir 3 millions d’euros dans les 5 prochaines années pour aller plus loin dans l’intelligence artificielle.
Cette scierie 4.0 se veut adaptée aux sites pouvant absorber 200 à 500 m3 par jour, y compris des gros bois. Finega l’a, pour l’instant, mise en œuvre dans un site, celui d’Aprobois à Carhaix (Bretagne), une scierie de résineux, fabricant de palettes et caisses. D’autres installations sont en projet, en Italie et en Autriche. Pour s’équiper, l’investissement s’élève à 3 ou 4 millions d’euros par site, machines et système de données compris.
Une scierie 4.0 soutenue par les Investissements d’avenir
Opérer un saut industriel dans les scieries, optimiser les stocks, les schémas de coupe du bois, l’utilisation des machines avec la maintenance prédictive, sans oublier les conditions de travail, ce sont quelques-uns des enjeux du projet « Scierie 4.0. Ingénierie d’accompagnement des scieries vers une industrie 4.0 ». Coordonné par Ceribois, lancé en janvier 2016 et pour 3 ans, « Scierie 4.0 » dispose d’un budget de 2,4 millions d’euros, dont 50 % d’aides publiques dans le cadre du programme Investissements d’avenir. Il s’agit de déployer des outils, informatiques notamment, sur le site de la scierie Bois du Dauphiné, de manière adaptée à la première transformation du bois.
Chaque pièce de bois suivie à la trace
Dans la deuxième transformation du bois, le fabricant de machines Biesse vient de lancer, en octobre 2017, sa plateforme numérique Sophia, réalisée en collaboration avec Accenture et primée par les Trophées Eurobois 2018. Elle s’utilise pour la fabrication d’éléments d’ameublement ou de façades (bardages...), de maisons à ossature bois, de panneaux en bois lamellé-croisé (CLT) ou encore de charpente traditionnelle.
Grâce aux capteurs posés sur les équipements, le constructeur collecte des données en temps réel. Sophia sert à suivre les machines, à réduire les temps d’arrêt en cas de dysfonctionnement, à anticiper la maintenance préventive ou à commander des pièces détachées. En cas d’alerte sur une machine, les équipes de Biesse peuvent intervenir à distance et prévenir l’utilisateur si nécessaire. En France, près de 50 entreprises on intégré Sophia dans leurs processus, sur un total de 200 utilisateurs dans le monde.
En parallèle, des étiquettes, dotées de code-barres ou autre message alphanumérique, permettent d’identifier chaque pièce, ainsi que le chantier de destination, la date de fabrication ou l’essence utilisée. Ce qui peut servir à changer le coloris pour un chantier en cours ou à consolider la chaîne de contrôle dans le cadre des certifications forestières (PEFC, FSC).
Quid de l’impact sur l’emploi ?
Quid de l’impact de ces nouvelles technologies sur l’emploi ? Chez Aprobois, du personnel d’insertion intervient dans la manutention. L’automatisation ne tue pas l’emploi, à en croire Michel Loyet :
« Gagner en productivité signifie produire plus, ce qui nécessite plus de main d’œuvre pour empiler, trier, manutentionner les bois. La présence d’un technicien pour le suivi des machines et la maintenance reste nécessaire. »
Et souligne-t-il : « Déterminer, par exemple, si la scierie doit produire moins de connexes ou, à l’inverse, plus de connexes et scier plus vite, en tenant compte des prix de vente, aucun être humain ne peut le faire en temps réel. Ni traiter des milliers de données et d’ordres à la fois. »
Le caractère éventuellement propriétaire des solutions logicielles, qui seraient non interchangeables d’un fabricant à l’autre, peut en rebuter certains. Olivier Dario, du Symop, voit la question sous un autre jour : « Le client à qui l’on vend non une machine mais de la productivité peut craindre d’être pieds et poings liés à un fournisseur. Cela dépend de sa maturité. Il faut éduquer le marché. »
L’industrie 4.0 ne renferme pas seulement la potentialité de nouveaux modèles économiques. Les constructeurs le disent, elle permet aussi aux industriels du bois de moins se préoccuper des machines, pour se concentrer sur leur cœur de métier, le bois.
Chrystelle Carroy/Forestopic
* Eurobois, salon de la filière bois, a tenu son édition 2018 du 6 au 9 février à Eurexpo Lyon.