Instrumentation, prologiciels, télédétection… les technologies numériques élargissent les perspectives pour mieux connaître et gérer la forêt. Des outils existent, d’autres en sont au stade de la recherche. Avec de nombreux défis à relever pour la filière.
« La filière forêt-bois a toute sa place dans les enjeux du développement de l’économie 3.0, du numérique et de l’économie collaborative. »
C’est Élodie Lematte qui le dit, la conseillère forêt-bois du ministre chargé de la forêt, Stéphane Le Foll. Elle s’exprimait lors du Forum Forêt qui s’est déroulé mi-avril 2016 à Paris, sous l’égide de Fransylva, fédération des syndicats de forestiers privés, et du Centre national de la propriété forestière (CNPF), avec divers partenaires*.
Face aux enjeux du changement climatique ou de la demande accrue en bois, les nouvelles technologies élargissent les perspectives de la connaissance et de la gestion des forêts. C’était aussi l’un des sujets de la conférence « L’avenir de la forêt française », organisée par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) lors du salon de l’agriculture 2016, avec des intervenants du FCBA (institut technologique forêt, cellulose, bois construction, ameublement), de l’Office national des forêts (ONF) et de l’Institut de l’information géographique et forestière (IGN).
« Le virage numérique est déjà négocié par les professionnels de la filière »,
Selon elle, « la dématérialisation des échanges de données interentreprises permise par eMobois en est l’illustration », ce démonstrateur qui est devenu une offre de service pour les entreprises. Autre exemple, l’ajout de capteurs ou de prologiciels vient enrichir les fonctionnalités des matériels.
« L’assemblage technologique ne suffit pas »
Cependant, « l’assemblage technologique ne suffit pas », relève Morgan Vuillermoz. Elle appelle à « oser se doter de méthodologies et d’outils d’appropriation pour accompagner les entreprises » dans cette transition.
Il est en de même pour la télédétection.
« Ces outils, comme le Lidar, sont muets en ce qui concerne les informations dont le forestier a besoin, c’est-à-dire des volumes, des espèces, des catégories de dimension »,
Selon lui, « la » méthode consiste en « l’association de mesures de terrain avec des informations venues de la technologie, comme données auxiliaires ».
L’approche multisource, venue de Finlande, ressort comme une piste d’avenir, par une démarche descendante. Autrement dit :
« Partir d’un niveau supérieur comme l’inventaire forestier national et associer des informations cartographiques, de télédétection, pour étendre la représentativité des points terrain et atteindre le niveau local »,
Cette méthode n’a encore pas été mise en œuvre pour une forêt aussi diversifiée que la forêt française. C’est l’objet d’un projet soumis par l’IGN, le CNPF et l’ONF à l’Ademe, dans le cadre de l’appel à projets « Reacctif » sur l’atténuation du changement climatique. Il porterait sur 1 600 km2 en région Centre.
Bases de données sur la masse volumique du bois
Le suivi du carbone présent dans les forêts se dessine comme un autre enjeu pour enrichir les inventaires. La création d’une base de données nationale sur la masse volumique du bois est en projet. L’IGN a engagé des campagnes de scan au Lidar terrestre. Lancée en 2010, l’opération a permis jusqu’à présent de scanner 1 500 placettes d’inventaire aux quatre coins du pays. En parallèle, un projet expérimental de l’IGN et de l’INRA vise à mesurer la microdensité de carottes de bois, scannées par rayons X.
La télédétection pour mesurer les dimensions des arbres et le volume utile de leur bois est également d’actualité à l’ONF. L’un de ses projets de R&D vise à dresser, à l’échelle de la parcelle, une cartographie dendrométrique pour l’aménagement forestier et l’exploitation. Le mode opératoire ?
« Utiliser les données Lidar acquises par avion, les coupler avec les placettes d’inventaire de terrain, et appliquer un modèle aux zones couvertes par le massif forestier pour obtenir une carte dendrométrique »,
Et d’ajouter :
« Nous allons pouvoir réaliser des cartes qu’il n’est pas possible de faire avec les inventaires statistiques classiques ; nous allons gagner du temps dans la description du terrain. »
Cela devrait aussi servir, notamment, à évaluer les coûts d’exploitation.
Les applications de la télédétection sont nombreuses. L’ONF est ainsi impliqué dans une palette de projets, pour suivre la réaction des peuplements forestiers à une sécheresse intense, pour évaluer les dégâts des tempêtes à l’échelle d’un massif, ou pour optimiser les schémas de desserte dans les exploitations forestières en Guyane et en réduire l’impact environnemental.
Au final, selon Anne Jolly, les outils de la foresterie du futur sont au nombre de trois :
« Le satellite, un cerveau bien fait et une bonne paire de chaussures pour aller faire des mesures en forêt. »
Les technologies, un défi humain
Les nouvelles technologies doivent encore progresser pour devenir « prêtes à l’emploi » entre les mains des forestiers, gestionnaires, exploitants. Le défi est aussi humain.
« Il faut former les jeunes, sinon ces innovations resteront dans les laboratoires, faute d’ingénieur capable de les mettre en œuvre »,
À l’instar des autres intervenants, Morgan Vuillermoz, du FCBA, considère que « la formation est un facteur clé dans la réussite de cette transition ».
Ce tournant numérique pourrait, aussi, rendre les métiers de la filière forêt-bois d’autant plus attractifs pour les jeunes générations.
Chrystelle Carroy/Forestopic